La sérénité de la sénilité

  • Par clopine
  • Le 10/01/2017
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Je me souviens d'un cours de philo de terminale. Le prof, "Papa Hue" (vieux cheval de labour, déiste, bavard et rougeaud comme une marchande), nous avait fait passer  "un test", façon journal féminin. Pauvre vieux bonhomme : il comptait ainsi jouer sur nos egos adolescents pour éviter de faire remarquer qu'il ne faisait plus cours (du tout... Mai 68 était passé par là...) , et passait son temps à nous raconter sa vie, encombrée des problématiques du remembrement rural : pensez, sa femme avait des terres... C'était du souci...

Il nous avait demandé d'associer un adjectif à chacun des trente noms communs d'une liste. Puis s'était emparé de nos feuilles (nous n'étions que 12 élèves, dans ma classe de terminale, cela autorisait de pareilles manipulations, impossibles dans une classe à plus fort effectif), et les avait commentées. Comme de bien entendu, c'étaient mes résultats qui avaient le plus attiré son attention, au motif "qu'ils étaient différents de ce qu'on aurait pu attendre" (ben tiens, le contraire m'eût étonnée)  : "Serein !", s'était-il écrié, en me regardant longuement. "A "Vieillard", vous avez associé "Serein" !!! Vous en connaissez donc  beaucoup, Mademoiselle, des "vieillards sereins" ?"

J'avais failli répondre qu'effectivement, ce n'était pas lui, Papa Hue, qui aurait ainsi  pu m'aiguiller  dans ce choix  : il était toujours excité comme une puce. Mais inconsciemment, je l'associais pourtant au vieillard dont il était question.

Bon sang, il devait à l'époque avoir soixante ans au plus. Avec la cruauté de mon âge, je rassemblais en une seule catégorie vieillesse, extrême vieillesse et sénilité : c'était tout un...

Aujourd'hui, je suis plus vieille que Papa Hue, et je comprends mieux sa réaction : rares sont les vieillards (et sans doute les vieillardes) sereins. Rarissimes, même. Car il en faut, du calme et du courage, pour vivre sereinement ce qui, à plus ou moins fort étiage, est le début du "naufrage" gaullien : la déchéance.

Je n'ai pas encore bien avancé dans ce chemin-là, que déjà je me révolte et me débats : encore une promesse trahie, en quelque sorte. Ce n'est PAS parce que vous serez "raisonnable", que vous régirez votre vie suivant les préceptes de la salubrité, de la sobriété, du calme et de la vertu physique, que vous pourrez remonter le temps, retrouver l'élastique et l'élan de la jeunesse ; tout juste se maintient-on, et encore.

Et c'est bien dans la seule sénilité que la sérénité doit trouver place, en fait...

 

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