De grâce !

Je suis allée, pile poil avant la fermeture, voir l'expo "Pierre et Gilles" au musée du Havre. C'est avec Jim que j'ai découvert ce musée, l'année où j'ai commencé à "travailler pour de bon". Embauchée par la mairie, je faisais tous les jours l'aller et retour Rouen-Le Havre en train. J'ai gravé délibérément, dans ma mémoire, les moindres détails du tout premier trajet, quand il me semblait qu'avoir un emploi régulier revenait à fixer les vis sur son propre cercueil. J'avais surtout l'impression, à l'époque, que j'abandonnais ma jeunesse - c'est-à-dire la fréquentation unique de gens de mon âge, pour me frotter à la laideur adulte : je regardais "l'homme à la pipe", un professeur qui trimballait une lourde sacoche de cuir et qui empuantait le compartiment de son tabac (encore autorisé à l'époque !), je le trouvais vieux, laid, j'allais pourtant  le croiser tous les jorus  pendant quatre ans et demi dans cette fichue gare, dans ce fichu train.

Autant dire que Le Havre ne me portait pas à la légèreté. Jim n'était pas d'accord avec moi : il adorait cette ville, et ne vivait à Rouen que, je crois, faute de mieux, c'est-à-dire faute d'une maison dans les environs de la forêt de Montgeons. Mais il comprenait bien que cette ville étant un symbole, pour moi, de l'esclavage salarié (même si mon emploi ne faisait pas appel à ma force musculaire, mais à quelques compétences touchant les neurones, il n'en restait pas moins un prolétariat), je n'eussse  nulle envie de m'y attarder le soir. Je prenais le train et rentrais à toute vitesse dans la "communauté" où je vivais,  à l'époque. J'y arrivais épuisée, cherchant Jim, ce qui déclenchait de la part de nos colocataires quelques railleries peu bienveillantes, d'ailleurs...

J'ai fait exception pour le musée d'art moderne - André Malraux, qui ouvre sur le port un oeil cyclopéen et quelque peu étonné. Jim me servit de guide, et la soirée fut plaisante, clôturée par les inévitables moules-frites d'un mastroquet quelconque.

Trente-cinq ans plus tard, j'étais de nouveau devant le musée, et j'allais de nouveau, le soir, manger des moules (août est la saison où elles sont le plus savoureuses). Cela me faisait une drôle d'impression de revenir au Havre. Heureusement, l'univers de Pierre et Gilles ne porte pas à la mélancolie (encore que... Les larmes scintillantes que les compères placent au coin de chaque point lacrymal ponctuent de tristesse  leur univers  presqu'enfantin, coloré comme les sucreries d'une fête foraine).

Ce qu'il y avait de bien, c'est l'absence totale de séparation entre les collections habituelles et l'exposition "provocante" installée pour le cinq centième anniversaire de la Ville. Ce qui permettait de relativiser la dite-provocation. Entre le portrait, par Pierre et Gilles, d'Isabelle Huppert, et celui de son arrière grand'mère, l'intention, sinon la manière, n'est-elle pas la même  ? Ne s'agit-il pas ici, et là, de témoigner d'une personnalité complexe, mmmhhhh ?

 

Huppert

 

Son arriere grand mere

(suite à demain pour l'expédition havraise !)

 

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