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L'appel à Tartes (2)

La deuxième tarte, dite ‘tartare ».

 

Il existe en fait DEUX Bourges.  (un certain « Dark Pioupiou » de ma connaissance  dirait que deux, ça fait déjà trop, mais lui,  faut dire qu’il est alternatif libertaire, alors…).

 D’abord, une ville « normale », c’est-à-dire ayant adopté, comme partout, la  laideur gangrenée  propre au vingt et unième siècle néo-capitaliste.  (et voilà ! Dès que je pense à Dark Pioupiou, je me sens aussi contaminée par les idées anarchistes que Fukushima l’est par  les particules radioactives, mais c’est que je suis influençable, au fond…).

Je veux dire  que Bourges est une ville  avec d’innombrables  ronds-points,  des centres commerciaux,  des grils courte-paille et des halles aux chaussures,  des panneaux publicitaires géants, des  façades d’HLM varicellées d’antennes  paraboliques et  des  bretelles autoroutières  usant d’un  vocabulaire  aussi innovant que difficilement  géographique. Par exemple, alors que vous cherchez (vainement) la pancarte « centre-ville »,  une énorme  signalétique électrique vous informe :   «  BARCELONE- MONTPELLIER:   suivre la C45-B33a jusqu’à la sortie 22 de l’A 76 ».

Bref, que de l’explicite.

 

Ensuite, Bourges est aussi une  «  vraie » ville, ce qui signifie historique.  Une ville  piétonnière, où les bagnoles ne circulent pas, ce qui est une bonne chose, mais doivent donc se garer, ce qui compliquait dans mon cas  un tout petit peu le respect de l’horaire sacré du rendez-vous de 9 heures pétantes, dans cet endroit précis que j’ignorais encore.

Bourges est une des villes de France qui a le moins morflé, architecturalement parlant, des petites embrouilles de voisinage survenues lors du siècle dernier : tout est à peu près resté debout. Imaginez une de ces magnifiques maisons  particulières rouennaises, aux façades à colombage, au voisinage de l’église Saint-Maclou, par exemple . Ben, à Bourges, vous en avez des rues entières, en losange et croix de Saint-André. Sans rire, si j’avais eu le temps de regarder autre chose que les sens interdits, j’en serais restée médusée.

En prime,  est installé un réseau de caméras de surveillance bigbrothérien,  qui, d’un seul coup d’un seul, te rappelle que tu es tout de même au 21è siècle, et qu’il faudrait pas effaroucher le  propriétaire du porte-monnaie chargé d’euros à qui tout ceci est destiné : le touriste ordinaire…

Touriste qui est détendu, donc, mais qui est incapable de te donner la moindre indication, vu qu’il est désolé, mais qu’il n’est pas d’ici.

Ahahah.

 

Il était 8 heures quarante. Je devais prendre une décision, et une place de parking.

 Je trouvais les deux ensemble,  à 8 heures quarante-quatre, et arrêtais ma twingo qui venait de rouler cinq heures d’affilée juste en contrebas du Palais Jacques  Cœur. En face du parcmètre qui refusa ma carte bleue, pour des raisons qui auraient dû m’être expliquées sur un écran électronique que je ne fus pas foutue, hélas, de  faire fonctionner. Le monsieur qui attendait son tour, derrière moi, finit, soit de guerre lasse (car je n’avais pas non plus de monnaie),  soit par pitié, par me donner cinquante centimes. C’était peu, mais la machine avala la pièce. Ca me donnait un bon quart d’heure pour trouver, à pied, et sans craindre de PV, l’endroit où j’allais…

 

Hélas. Les réponses des  authentiques autochtones (je les repérais à leur absence de tongs) furent  toutes à peu près les mêmes,  bien que posées successivement  à 8 heures 50, 58, 9 h 06 et 12.

 

Pour aller au restaurant « La Gargouille », ben suffisait de suivre le chemin de la Cathédrale, oui, celle qu’on voyait là-bas, c’était beau, hein ? Et la Gargouille, ça, on me le recommandait sans réserve.

 

Mais pour les ateliers littéraires consacrés à l’OULIPO, là, la réserve semblait de mise.

 

Personne ne savait quoi que ce soit.

 

Je devins, vers 9 heures 15, définitivement héroïque : je refusai l’entrée du désespoir dans ma cervelle désemparée. Du coup, (et comme, au palais Jacques Cœur, la seule personne que j’avais vue devant les portes fermées était une femme de ménage qui, entrant dans les lieux  à 9 heures vingt et une,  m’avait indiqué que « ça l’aurait beaucoup  étonnée qu’il se passe quoi que ce soit avant 10 heures, vu qu’elle devait passer la  toile à laver dans le hall  avant l’ouverture des portes…), je me suis rabattue sur la seconde partie de  mon altière native : l’école des Beaux-Arts.

Où j’arrivais vers 9 heures vingt-cinq.

Et où je fis la connaissance de l’anonyme que je vais me permettre de nommer « l’organisatrice en chef ».

J’étais dans un sale état. Suante, sichoufflante, perdue, inquiète, pensant sans arrêt que les cinquante centimes étaient bouffés depuis longtemps et me demandant combien ça coûtait, un PV juste en-dessous du palais Jacques Cœur,  un peu nauséeuse et surtout honteuse : car moi qui ai horreur de ça, j’étais en retard. Un retard tartare, cru, saignant, sous la selle de mon cheval fourbu, tirant la langue. Un retard qui allait peser son poids de pénibles minutes…

Bref, un état psychologique assez voisin de celui de la petite fille qui, à l’école primaire, n’ose pas demander à aller aux cabinets,  devant toute la classe.

L’organisatrice m’a donc instantanément reconnue, et, pour couper court à mes explications désordonnées, mes tentatives de demandes d’aides et le commencement d’un soupçon d’exaspération qui me montait, malgré moi, aux narines, elle adopta le ton ferme et compétent de la maman qui te me va l’éduquer, tiens, l’enfant récalcitrant.

D’abord, elle m’indiqua aimablement que cela faisait donc une demi-heure que « tout le monde m’attendait », et que « ça causait un sacré retard dans l’organisation ».

 

C’est un point de vue d’organisatrice en chef qu’en d’autres temps, j’aurais parfaitement accepté. Après tout, moi aussi, il m’est arrivé, des fois, d’être competente, efficiente, organisée, sévère-mais-juste et sûre de moi. Et même bénévole…

 

Mais là, je voulais juste qu’on réponde à mon affolement, et surtout je sentais une envie irrépressible de comprendre ce qui venait de m’arriver, qui  montait de mes nerfs crispés. Pourquoi donc les autres, les quelques 80 personnes que je voyais au loin, dans la cour carrée du bel immeuble des Beaux-Arts, prendre un petit déjeuner détendu, n’étaient-elles pas, comme moi, debout devant une femme assise  qui vérifiait méticuleusement que, malgré mon retard et le trouble que je causais déjà (qu’est-ce que cela allait être par la suite !!!), j’avais bien rempli mes obligations  et avais donc le droit d’être là  (encore que… Le retard…)  

 

Je fus sauvé par un jeune homme à catogan et cheveux bouclés, un stagiaire ?,  à  qui l’organisatrice,  prenant conscience que mon désarroi atténuait encore des compétences dont, d’un seul coup d’un seul, elle venait de prendre la faible mesure, enjoignit de s’occuper de moi.

 

A 9 heures trente cinq, j’étais au volant de ma twingo. A trente-huit, j’entrais dans le parking sécurisé « prévu à cet effet » dont les 79 autres personnes avaient eu connaissance, à part moi. A 9 h  40, le  jeune homme me sourit, un peu navré, et j’eus la soudaine intuition que sa sollicitude  (qui me détendait à la hauteur d’un tube de valium)  provenait peut-être aussi d’un passé rugueux avec l’organisatrice en chef, qui sait ?

 

Ca m’est déjà arrivé, dans ma vie, d’avoir le soutien silencieux de galériens timides qui, cherchant à prévenir les dangers vers lesquels, avec mon inconscience habituelle, je me dirigeais tout droit, me venaient spontanément en aide, parce qu’ils étaient déjà passés par là…

 

N’empêche que, même en empêchant 80 personnes de respecter un horaire aussi scrupuleux qu’utile, je voulais comprendre ce qui venait de m’arriver. A savoir, entrée en Bourges à 8 h 35, ne franchir le porche de l’école des Beaux-Arts qu’à 9 h 50…  

Et donc, revenue devant la directrice de l’école primaire, l’organisatrice en chef, je posais la question qu’il n’aurait pas fallu…

 

(la suite à plus tard. Je demande humblement pardon à toutes celles qui ne sont intéressées  du récit de mes souffrances  qu’à cause de la présence, dans les parages, d’Hervé le Tellier : il n’apparaîtra qu’à son heure… Disons qu’elles pourront alors choisir leur lecture « à la carte ». Mais moi, j’ai besoin d’écrire mon histoire « par le menu » !!!)  

 

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