L'appel à Tartes (4)
- Par clopine
- Le 21/07/2016
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- Dans Mes textes
Tarte n°4, dite « où l’on passe à table pour les aveux. »
Jadis, j’ai vécu une vie antérieure, tous comme les Bretons aux Bonnets Rouges : « sous de vastes portiques », ou pour préciser encore « dans un pays lointain » comme disait Racine cité par Yourcenar, sur Radio France Culture, dans le générique de l’émission « Concordances des Temps » du samedi, par Jean-Noël Jeanneney, de 10 heures à 11 heures du matin.
(cette dernière phrase que vous venez de lire, ô vous mes quatre lecteurs curieux et légèrement inquiets, est censée en fait vous rassurer sur l’état global de ma culture générale, sans pour autant trop l’étaler, n’est-ce pas… Car j’ai bien conscience que les drames divers qui vont se succéder dans mon récit pourraient fort bien être attribués à la faible étendue de cette dite-culture générale, donc je cherche à prendre les devants, et à vous persuader que cette dernière est, comme la tournure grammaticale dont je viens d’user dans ma dernière proposition, juxtaposée, subordonnée et relative. En clair, quelqu’un qui écoute (au hasard) tous les samedis Jean-Noël Jeanneney doit pouvoir, normalement, encaisser le choc d’un atelier oulipien autant que berruyer... Disons au moins que je le croyais, et n’oublions pas que le chapitre d’aujourd’hui constitue des aveux. Allez, je poursuis, c’est comme un médicament, c’est difficile à avaler mais après on se sent mieux.)
Dans cette vie antérieure, donc, j’administrais une salle de spectacle qui, quoique municipale, invitait souvent des vedettes. J’assistais, depuis les coulisses, à l’attente du public avant le commencement des shows, et, rien qu’à leurs réactions, je pouvais deviner l’état d’esprit des spectateurs : parfois « flûté » comme la bouche pincée d’une Guermantes qui sait qu’elle est à l’endroit à la mode, ou bien « impatient et nerveux » comme un fan de Johnny, « curieux et crédule » pour une séance de prestidigitation, et « frémissant d’avance d’un plaisir extatique » , en cas de (re)connaissance d' artistes prestigieux.
A Bourges, ce fut ce dernier frémissement d’aise qui s’empara de la salle et qui prédomina les réactions des 80 personnes de l’ampli. Je sus donc d’avance que toutes et tous seraient ravis de ce qui allait se passer, que tous en goûtaient déjà le fumet et le goût, que tous seraient enthousiastes et prêtes à tout….
Sauf moi.
Car ce e fut à ce moment que je commençai à prendre l’exacte mesure de ma tragique situation.
En effet, les 6 écrivains artistes complets qui présentèrent, tour à tour, leurs projets d’ateliers, semblaient tous parfaitement connus de mes voisines (et de mes rares voisins).
Or, je n’en connaissais qu’un, et encore ! Les autres, à savoir Ian Monk, Pablo Martin Sanchez, Eduard Berti, Frédéric Forte, Olivier Salon, m’étaient parfaitement inconnus. Mais alors là, vraiment ignorés, hein. Rien dans mes fiches. Que pouic. Pas l’ombre d’une réminiscence, d’un « ah mais c’est vrai, celui-là c’est celui qui… » ; Ni le souvenir d’ une émission, d’une citation, d’un livre acheté quelque part…
Le vide.
Et puis, ce n’était que des hommes qui étaient là, devant ce parterre en grande majorité féminin. Je souligne bien « féminin », car j’estime que, même ménopausé, (et la plupart des participantes, à vue d’œil, avaient passé ce cap ) le sexe des femmes a de l’’importance. Bref.
En tout cas, ce fut la toute première question naïve que je posais à mes voisines, toujours extatiques : « Il n’y a donc que des hommes, dans les animateurs ? »
On me répondit avec brièveté (car il ne fallait pas perdre le fil du discours de l’orateur qui, en bas, expliquait son projet) que « c’était normal, à l’Oulipo il n’y a pas beaucoup de femmes ».
J’ai continué (non mais, vous avouerez, quelle bécasse !) « Mais enfin, Dominique Muller, Clémentine Mélois, Eva Almassy ??? »
La voisine du rang du dessous se retourna, impatientée, et m’asséna : « Mais ce ne sont pas des oulipiennes ! Ici, on est à l’ OULIPO, voyons… ! »
J’allais continuer mes questions simplettes, mais des « chuuuttt » sonores protestèrent contre mes interventions (c’était la première fois qu’on me rappelait à l’ordre mais ça n’allait pas, dieu jésus, être la dernière…)
Je me tus donc, mais je sentis comme une sueur qui me montait au front…
Je croyais savoir ce qu’était l’OULIPO ; et si, le samedi, j’écoutais Jeanneney, le dimanche, je goûtais goulûment les Papous de Françoise Treussard, ce qui faisait, d’ailleurs, que je connaissais (entre autres) le nom d’Hervé Le Telllier.
Mais un gouffre s’ouvrait sous mes pieds : n’aurais-je pas commis comme une confusion, une erreur d’appréciation, un délit d’ignorance, et n’étais-je pas en train de monter, avec la cuillère de ma légèreté coutumière, comme une mayonnaise qui risquait fort de tourner, avec la moutarde Le Tellier, le jaune d’œuf Papou et l’huile Oulipienne ? (et pourtant, moi aussi ménopausée depuis un bail, j’aurais dû ne plus rien risquer du tout…)
Et si je m’étais ainsi fourvoyée, qu’est-ce que ma présence signifiait exactement, ici, puisque, malgré ma bonne volonté tendue à l’extrême (d’ailleurs, ma bouche s’en tordait un peu et mes yeux se plissaient, comme à chaque fois que j’ai le net sentiment de faire une gaffe et que je cherche à l’éviter, ce qui l'aggrave souvent…), je ne partageais visiblement pas l’extatique qui s’était emparé des gradins ?
Et qu’en plus, HONTE A MOI, HONTE, HONTE, HONTE, je n’avais aucune connaissance des personnalités littéraires avec lesquelles j’étais censée passer une pleine semaine (sans compter que, même sans parler "personnalités", mes voisines, elles, m'étaient toutes aussi inconnues, bien qu'elles semblaient se connaître toutes les unes les autres ???)
(la suite à demain, parce que pour aujourd’hui les aveux, ça suffit. Je veux donc que Guy Marchand aille, à la demande de Lino Ventura, me chercher un sandwich et une bière, avant de continuer mon récit, en garde à vue.)
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