l'état des lieux

Cette maison était née d'une utopie : celle du "retour à la terre" et du rêve d'autarcie des enfants de 68. Mais si  ce genre de projets  avient inéluctablement vocation au délitement, la maison, elle, était toujours là.

Dès l'entrée en possession, les trois compères qui s'étaient unis, jeunes et sans un rond, pour l'acheter, avaient commencé les travaux. Et, en quelque sorte, ces travaux n'étaient pas terminés, ne seraient jamais terminés. Mais les deux femmes pour qui les maisons avaient été construites (car trois années avaient été consacrées à faire naître, du néant d'un champ, une impressionnante longère, plus solide, plus vaste encore que la première. Et les deux maisons cohabitaient, comme pourraient cohabiter une mère et sa fille), ces deux femmes  n'étaient plus impliquées dans cette vie interne des maisons : les travaux continuaient encore, et encore, mais un peu à la manière du canard, qui continue à courir  avec la tête tranchée...

C'était donc bien plus qu'une maison que je devais affronter. C'était une histoire, un projet, une union avortée. J'étais bien trop angoissée par mes réactions à la situation que j'avais pourtant acceptée, mais que je n'acceptais plus, (à savoir élever mon enfant loin de son père), pour comprendre que la Maison avait besoin d'une proie, pour continuer à susciter, année après année, l'élan laborieux qui présidant à ses embellissement ; ce que je ressentais confusément, par contre, c''est que je n'étais pas chez moi. 

Tout ici m'était pénible, et difficile. Je venais de passer quelque vingt ans dans la grande ville, où les portes s'ouvraient grâce à des vigicodes, où les tiroirs des placards de cuisine, munis de roulements à bille, s'ouvraient et se fermaient du bout des doigts, où la chaleur provenait de l'électricité ou du gaz, sans qu'on se pose plus de questions que cela. J'arrivais dans une maison qui gardait encore la rudesse des habitats paysans d'antan : j'avais, en réalité, tout à apprendre...

 

(suite à demain)

 

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