la haine aux champs, entre paradoxes et contradictions

La colère des habitants des villages, exprimées par un vote F Haine à plus de 60 % dans bien des cas, (comme dans mon village !) , est aussi fuligineuse, énigmatique, pardoxale,  à première vue, que ces rassemblements de nuages de différentes natures, qui viennent se bousculer dans une apparente contradiction, avant que leur entrechoc, en même temps que l'odeur d'ozone qui monte de la terre, ne libère les trombes de l'orage.

Parce qu'enfin, si l'on y songe, tout ici est contradictoire : la première peur que l'extrême-droite agite, afin de désigner un coupable commode, est celle de l'autre, du différent, de l'étranger - et plus précisément de l'arabe musulman (mais un peu aussi le noir et le juif, pour faire bonne mesure...) ; comment nos villageois peuvent-ils tomber dans ce piège, alors que, définitivement, ils n'ont  que des contacts absolument minimes avec les populations désignées du doigt, qui ne sont en rien des "rivaux " pour eux, en termes par exemple d'emploi ou d'occupation de l'espace social  ? Oh, ce n'est pas que le paysan n'éprouve pas le mépris, la peur et la méfiance envers celui qui ne vit pas comme lui (et dont la liberté fantasmée est sans doute le socle d'un désir inavoué, comme le fermier qui,  déplorant le meurtre de ses poules,  ne peut s'empêcher d'admirer la beauté du renard). Mais de tout temps, l'ostracisme s'abat, dans ma campagne, sur le manouche, pas sur un autre définitivement absent. A-t-il transposé cette haine rien que par la grâce d'une propagande qui ne reflète en rien son vécu ?

 

L'autre paradoxe concerne l'Europe, autre cheval de bataille de l'extrémisme. Or, la majorité des agriculteurs sont, depuis 60 ans, complètement dépendants de la PAC, et ne pourraient survivre sans elle. Comment concilient-ils (alors même que la majorité des élus locaux des petits villages sont des agriculteurs, en activité ou retraités...) l' caspiration à sortir de l'espace commun, qu'ils semblent plébisciter par leurs votes,  avec leurs pratiques quotidiennes ? Vous me direz qu'il s'agit sans doute là du même tour de passe-passe qui fait que le paysan (là encore, sans doute, par envie et dépit mêlés) n'a pas de mots assez durs envers  le fonctionnaire : or, il n'en est plus très loin, et sans la machine administrative qui lui permet de toucher les subsides publics, il serait encore plus exposé aux aléas d'un marché fluctuant et dévastateur.

Autre source d'étonnement : il n'existe pas, en France, de catégorie professionnelle plus structurée et plus collective que celle des agriculteurs. Leur syndicat plus que majoritaire, la FNSEA, non seulement s'appuie sur la légitimité du nombre, mais encore a réussi à structurer les réseaux sociaux autour de lui de telle sorte qu'il  contrôle non seulement les chambres d'agriculture, mais encore le ministère lui-même. Comment une telle force de frappe ne réussit-elle pas à  procurer un sentiment de sécurité à ses adhérents, qui leur permettrait d'envisager l'avenir avec sérénité, et d'être moins sensible au discours alarmiste, démagogique et antirépublicain de l'extrême-drfoite qui déclare que "tout va à vau-l'eau" et que "tous sont pourris" ??? Comment une catégorie sociale qui a su à ce point utiliser le système d'organisation politique pôur assurer sa représentativité et défendre ses intérêts peut-elle, en même temps, manifester un tel rejet de ses propres représentants ?

Enfin, ce vingt et unième siècle est caractérisé par la prise de conscience de l'interaction de l'homme et de son milieu, et par l'omniprésence et la célébration du monde sensible - or, l'agriculteur, le paysan, (à défaut de l'anonymat citadin permettant l'audace et la créativité), bénéficie d'un contact direct avec ce qui est désormais la pierre angulaire de la sensibilité  collective : la célébration de la Nature. Pourquoi donc adhère-t-il  à un  discours qui, attisant les rancoeurs, lui souffle qu'il est injustement méprisé, alors que son mode de vie est, au moins dans la majorité des publicités, désigné comme vertueux et exemplaire ???

 

Qu'est-ce qui donc, de maniière paradoxale, rend perméable les ruraux à la démagogie outrancière des thèses néo-fascistes ? Je ne crois pas que l'ignorance de l'histoire et  le manque d'intelligence interdisant le recours à la raison pour privilégier l'affect immédiat, soient par essence plus largement  présents  dans les villages que dans les zones urbaines - au contraire, même, ai-je envie de plaider...

La réponse relève peut-être, enfin c'est celle que j'avance (à tâtons !) de la psychologie victimaire. Je veux dire que, plutôt que de s'admettre victime, chercher à se réparer et donc opérer une remise en cause de soi-même, il est toujours plus facile, pour l'ego, d'accuser  l'autre, "à l'aveugle" s'il le faut. Sartre, via l' existentialisme, faisait preuve d'un jusqu'au boutisme dans la démarche : il n'y avait pas, pour lui, de bourreaux, simplement des victimes trop consentantes. Sans aller jusque là, on peut cependant constater que, si le paysan analysait correctement ce qui lui arrive, il ne se tromperait ainsi de coupable, et s'il fallait accuser quelqu'un, ce ne serait certainement pas l'immigré magrébhin qui devrait s'avancer à la barre...

 

Moi je dis que sa colère est légitime, les questions que pose le monde rural sont parfaitement cohérentes - mais les réponses qu'il apporte, à savoir cette adhésion à l'extrême simplisme d'un discours de haine, sont totalement à côté de la plaque.

 

Oui, j'estime que le rural a parfaitement raison de se sentir floué, méprisé, en danger et montré du doigt. Cela fait soixante ans qu'on lui ment, qu'on le pousse à détruire ce qui le fait vivre, qu'on l'insulte  et qu'on grignote de tous côtés son espace. Et j'ai envie de dénombrer, une par une, les incessantes attaques auxquelles il doit faire face, alors même que les armes dont il dispose sont factices et ne servent qu'à lui cacher la réalité...

(la suite à demain, si j'ai suffisamment la gnaque, bien sûr).

 

 

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