La haine aux champs...

Ainsi donc, il me faudrait remercier les citadins, sans qui "nous" aurions, pour notre grande majorité, la nausée aux lèvres et les poings serrés aujourd'hui - mais pourtant, pour ma part, j'ai bien la nausée et les poings serrés. La statistique est formelle : tous les petits villages des alentours ont choisi Le Pen. A Beaubec, deux personnes croisées sur trois sont dans ce cas.

Deux personnes sur trois.

J'habite au creux de cette défaite.

Je me souviens -c'était en 2002, et les électeurs du F  Haine avaient encore honte d'eux-mêmes- d'une conversation avec un petit notable du coin.  65 ans, agriculteur, d'une famille belge venue s'installer en Oise Picarde au début du 20è siècle (comme beaucoup), maire d'un patelin de 250 habitants, président d'une communauté de communes rurales, bien placé à la Chambre d'Agriculture dans la Commission d'attribution des aides agricoles, et ayant des responsabilité à la FNSEA. Profil typique, loin d'être un imbécile, possédant un haut niveau d'instruction et ayant même envisagé, un temps, une reconversion de son exploitation en bio. Un de ces élus "de proximité" qui, pour  assumer les tâches liées à  leur mandat, arrivent  au siège de la Com'com  en tracteur, plutôt que de rester bloqués par la neige...

Nous marchions tous les deux au milieu des champs, et il s'est tourné vers moi : "le problème ici", me dit-il, "c'est que les plus intelligents sont tous partis à la ville, ou y partent. Il ne reste que les trop idiots pour penser par eux-mêmes". 

J'ai reculé en entandant cette phrase, et j'ai  eu un  grand geste de dénégation : je ne pouvais admettre que cet homme, qui tenait dans ses mains des délégations de pouvoir du milieu social dont il était issu, dont il était le représentant, méprisât autant ses concitoyens. Si même lui pensait ça...

Aujourd'hui, il faut cependant bien admettre que la "ruralité" offre le visage d'un repli sur soi  morbide et haineux... Comment en est-on arrivé là ? Et comment combattre ce phénomène, qui semble ne pas cesser de s'amplifier, de s'ancrer, de ne plus reculer devant l'autocomplaisance et l'autojustification, "droit dans ses bottes" ?

Il y a quelques pistes de réflexion, à mon sens, dont la première est la perte de sens, d'identité, de valeurs et d'espoir du monde rural, sacrifié inexorablement depuis plus de 50 ans. Et si la France veut se mettre "en marche", il lui faudra, à mon sens, mettre en tout premier de la file, afin de rythmer efficacement la progression de tous, le pas  du plus désemparé, du plus en colère, du plus faible intellectuellement des siens : l'électeur moyen de mon village "français" - celui dont Chirac se servait en arrière-fond de sa propagande, et qu'il faudrait désormais repeindre en un nauséeux bleu-blanc-rouge sur fond brun...

 

 

 

 

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