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Le sourire d'une campagne ensoleillée...Et l'ombre d'une campagne empoisonnée.

Le festival  départemental "Terre de Paroles" a eu la bonne idée d' Ouliposer quelque peu ses manifestations, cette année. Et ce dernier samedi, après une matinée d'"atelier-lecture" autour de Perec (on s'est vraiment bien amusés), une soixantaine de valeureux littéraires, plus un anglais venu en Bray pour traduire le dernier  documentaire de Beaubec Productions, s'est retrouvée à Saint-Aubin le Cauf,  à vélo, et sous le soleil : du coup, l'avenue verte bruissante d'odeurs et de fleurs en boutons, l'atmosphère printanière, les coups de pédale  et les jeux littéraires ont fait bon ménage ;  nous étions devenus des festipédaleurs, en quelque sorte... 

Voilà qui  m'a un peu réparée de mes déboires bourgeois (ça, c'est une private joke pour ceux qui suivent !!!)...

Mais rien, pas même la bonhomie  ambiante d'un après-midi brayon, vélocipédique et littéraire, ne peut effacer l'arrière-plan politique de la sale période que nous traversons. L'oasis oulipienne n'y a pas échappé : dans la cour de l'ancienne école où nous nous sommes tous retrouvés, une fois les vélos remisés, Clopin n'a pu s'empêcher d'échanger quelques points de vue avec des participants, comme lui fortement inquiets des scores de l'extrême-droite :  il règne décidément comme une tension, un climat d'urgence, face à l'ombre portée de l'arrivée au pouvoir des néo-fascistes (même enrubannés de blondeur oxygénée). 

Clopin et son interlocuteur étaient du même avis, et parlaient fort  : "qu'importe que Macron soit le hérault d'une classe sociale et d'une organisation de l'économie responsables, ou au moins complices, d'un délabrement de plus en plus évident de notre monde, il faut cependant voter pour lui, afin d'écraser toute prétention de l'extrême-droite". Moi, j'avais encore dans l'oreille le témoignage de notre ami anglais : dès le lendemain du Brexit, les racistes, se sentant légitimés,  ont assassiné quatre immigrés, de l'Europe de l'Est ou du Moyen-Orient, à Londres ; est-ce que ma virulente indignation et  mon espoir déçu d'un monde autre, valent l'arrivée d'une Le Pen au pouvoir, avec ce que cela implique de danger, immédiat et palpable, pour le premier maghrébin, le premier musulman venu, le premier être humain qui aura le simple tort d'être "autre", "étranger", "différent"  ?

Est-ce que ma "vertueuse abstention" fait le poids, face à un risque pareil ?

L'épouse de l'interlocuteur de Clopin semblait, elle, très embarrassée : non de la teneur des propos des deux hommes, mais de la manière dont leurs voix résonnaient dans la cour, devant la soixantaine de personnes. "Je suis toujours gênée, j'ai toujours un peu peur", me dit-elle doucement, avec un peu d'effroi, "quand on se met à parler politique"...

J'ai pensé qu'elle avait vraiment tort. Quand la maison brûle, se préoccupe-t-on d'essuyer ses pieds sur le paillasson, avant d'entrer sauver ce qui peut l'être ? Je trouve qu'il y a, dans la "pudeur" que certains pratiquent  autour de "la politique", le même type de silence que celui qui a si longtemps entouré les violences pédophiles et sexuelles. Les "choses dont on ne doit pas parler", que l'on préfère enterrer, sous le tapis, qu'il est malséant d'évoquer, vous reviennent bien entendu toujours en boomerang... Et en pleine gueule.

Je crois qu'il faut au contraire regarder notre monde en face. Il faudra bien entendu, un jour ou l'autre, analyser cette période que l'on vit. Savoir pourquoi et comment on en est arrivés à cette situation si incroyablement tendue. Trouver, d'une manière ou d'une autre, le moyen de renouer un contrat social sans lequel la vie commune n'est que violence. Mais avant, il faut laisser la parole agir, il faut laisser les gens s'interroger les uns les autres. En tout cas, j'espère bien que les oulipiens passés, les Queneau, les Perec, n'auraient pas pris en mauvaise part la discussion de samedi : car si nous ne nous questionnons pas les uns les autres, nous risquons encore moins de trouver le début d'une réponse !!!

 

 

 

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