Louis et Giono...

Tout sépare ces deux-là, et pourtant : l y a dans les notes sur l’affaire Dominici l’analyse parfaite de la violence que le langage fait subir aux êtres. Gaston n’a pas les mots du juge, et Giono, qui connaît parfaitement les deux langages, le paysan et le judiciaire, note tous les quiproquos, tous les « à-côtés » qui font que l’innocent va devenir coupable.

En ce sens, (en ce sens seulement, certes, mais pourtant !) le travail d’Edouard Louis rejoint celui de Giono :   ils démontent tous deux cette violence sociale inouïe sous-jacente au langage…

Une amie qui lit la « vie catholique » (! En mémoire de sa mère !!) et qui connaît mon athéisme enraciné m’empêchant à tout jamais d’acheter l’hebdomadaire confessionnel), m’a envoyé l’interview du jeune Edouard. Notation d’icelui, que je trouve parfaitement juste (mais que je reproduis de mémoire, vous m’excuserez donc) : « la société des hautes classes sociales trouve formidable le langage populaire, ses images, ses trouvailles, son charme – mais quelqu’un qui parle comme parle le personnage de « ma soeur » dans mon livre se fait immanquablement blakbouler au premier entretien d’embauche… »

Perso, j’ai vécu cela à l’hôpital, où je partageais la chambre avec une jeune fille en droite provenance d’un foyer de la DASS : c’était pathétique, parce que la jeune fille n’avait pas l’air bien malade, et que je soupçonne qu’elle avait joué, non pas la comédie, mais qu’elle avait accentué ses symptômes (nous étions dans la section de gynécologie) pour se retrouver là et donc avoir un prétexte pour que son éducateur prévienne sa mère.

 

 

J’ai assisté à l’entretien téléphonique de la mère à la fille : une violence inouïe, la mère insultant la fille, la traitant de tous les noms, et la fille réclamant cependant à cette mère une attention que cette dernière semblait si déterminée à lui refuser, que ça m’en faisait mal au coeur. Bref, je n’ai jamais oublié cette soirée…

le lendemain, le médecin passe, m’examine, puis se tourne vers la jeune fille : il lui demande « en quelle classe êtes-vous ? » Et la jeune fille de répondre « en terminale »

Je savais (la jeune fille m’avait prise pour confidente pendant la luit) que cette « terminale »-là signifiait simplement qu’ayant 16 ans, elle allait sortir de sa classe de CCPN en juin.

Mais le médecin n’a évidemment pas compris cela. Il s’est mis à lui parler comme on parlerait à une élève de classe terminale du secondaire, qui plus est « en avance d’une classe ». Avec un vocabulaire que la petite ne POUVAIT PAS comprendre… La malheureuse, bafouée par sa mère qui la traitait de pute, s’enfonçait dans la cruauté de la violence langagière…

Une fois le médecin parti, j’ai tenté de lui expliquer ce qu’il lui avait dit. Mais la jeune fille avait « baissé les bras », et même s’il s’agissait de son corps, de son fonctionnement interne, elle ne tentait pas de comprendre : elle retournait à une passivité hébétée qui la désignait, bien évidemment, comme la victime-née qu’elle était…

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