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Rivalité (le complexe de Manderley)

Dans les années 70-80, il ne faisait pas bon évoquer, comme relevant de votre personnalité, des sentiments de jalousie ou de rivalité. La sentence tombait illico, accompagnée d'un regard méprisant : "la jalousie, c'est rien que de la peste émotionnelle chez les petits-bourgeois". On était sensés être tous égaux, libérés, en accord profond avec nous-mêmes et désirables à hauteur égale (ce qui permettait d'ailleurs à quelques petits sournois, en loucedé, d'en profiter un maximum. Il suffisait de ne pas être trop regardant avec l'hypocrisie...). Bien entendu, à partir de là, "que le meilleur gagne" :  les plus coriaces des égocentriques remportaient souvent le morceau...

Cependant, aussi stupides et  dénuées de toute vérité psychologique qu'aient été les idéologies de ce temps-là, elles avaient au moins le mérite de tenter de changer les rapports des uns aux autres. Ce n'était pas leur faute si la réalité a la vie dure, et si les combats les plus cruels utilisent parfois, simplement, pour armes, les mots...

Ce jour-là, je remontais en frissonnant l'allée qui menait à la longère brayonne où j'étais sensée vivre désormais. A main droite, un panier, contenant un chat. A main gauche, un enfant, qui serrait ses doigts dans mes paumes, et qui était très certainement le meilleur passeport possible pour franchir le seuil de cette demeure, où on allait, sans cesse, me demander mes papiers...

Je n'étais pas d'un tempérament particulièrement jaloux. Il me semblait tout simplement que j'étais "en-dessous" de la jalousie. Je n'arrivais jamais à "revendiquer" une affection, encore moins une quelconque "exclusivité" de sentiments. Je n'étais tout bonnement pas à la  hauteur de moi-même. Alors, venir vivre "chez une autre"...

 C'était pourtant ce qui était en train de m'arriver. Je me souvenais de "Rebecca", de Daphné du Maurier, et j'éprouvais le complexe de Manderley, de celle qui n'est pas à sa place, qui n'est pas chez elle, parce qu'elle est chez l'autre. Et encore : chez Du Maurier, la première est morte, et c'est juste son souvenir qui torture la seconde. Dans mon cas, rien n'était éclairci, au nom de la bonne vieille idéologie baba qui voulait qu'on devait tout partager...

C'était tout simplement une horreur à vivre, mais cela n'était rien encore. Car il me faudrait, afin de pouvoir survivre, non seulement comprendre ce qui m'arrivait et tenter de résoudre les équations mortifères dont résultait la cohabitation, mais encore discerner que mon vrai problème n'était pas la femme qui résidait (encore) là, et qui elle aussi avait un enfant de l'homme qui nous réunissait ainsi, sans que nous l'ayant un seul instant souhaité, toutes deux.

Non, mon vrai problème, mais je n'allais l'apprendre que petit à petit, c'était elle.

Elle.

La maison.

Cette longue longère au lourd  toit d'ardoises d'un bleu-gris changeant, ces murs de torchis, ces  fenêtres fermées de volets de bois, ce jardin potager qui s'étendait à droite et à gauche de l'allée empierrée comme une déclaration, cette porte massive, peinte en bleu et fermée à clé, car il fallait passer par une autre porte pour entrer : elle me regardait arriver, cette maison-Manderley, et si je ne l'avais pas pressenti, elle allait bien entendu mettre les choses au point : car ma vraie rivale, c'était elle.  

(suite à demain)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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