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Saturday morning fever

Pour des raisons - dont vous ne saurez rien, je dois derechef, après des moments d'inactivité qui se sont étalés sur quelques années, consacrer 35 heures hebdomadaires à un travail salarié, morne et alimentaire, alors même que je sens tous les jours l'usure de mon corps - et que je dois désormais passer au contrôle technique, comme les voitures, à intervalles réguliers. Ceci n'est pas sans rapport avec mon humeur morose, causée également, cette humeur, par le  désastre du monde qui m'entoure, certes. Mais si j'avais 20 ans, je supporterais sans doute mieux l'évolution catastrophique de mes contemporains.

En tout cas, mes contraintes professionnelles ont  ceci  de bon que je retrouve le goût du samedi matin, que j'avais quelque peu perdu.

Il faut travailler toute la semaine pour bien apprécier le samedi matin. Le réveil tardif, la conscience bienheureuse que non, on n'a pas à se lever, le tapotage de l'oreiller avant d'y replacer la tête de trois quarts,  et l'épiage, par la fenêtre de la chambre, de la lumière du soleil qui monte... C'est encore meilleur quand il fait très froid dehors, et qu'un chat vient rontonner dans vos bras, histoire de vous raconter  le plaisir qu'il a à vous voir...

Du coup, je retrouve mes vieilles marques, et notamment les moments solitaires, une fois descendue dans la cuisine, où je fais chauffer de l'eau, m'occupe vaguement de petites corvées ménagères, prépare la théière,  me verse de l'earl Grey, vais dehors me rafraîchir en  déposant  de la margarine dans la mangeoire aux oiseaux, traîne le rocking chair dans la cuisine, face à la fenêtre,  pour pouvoir mater les passereaux qui viennent s'y nourrir, et ouvre France CUl. (Clopin, lui, le matin, ne supporte pas le bruit de la radio. C'est donc un plaisir solitaire et donc, dirait Marcel Proust, impie et coupable, que de m'adonner à l'écoute de Répliques, d'Alain Finkielkraut - que j'honnis par ailleurs, bien entendu.)

 

Ce matin, pendant que les passereaux s'en donnaient à coeur joie, le plaisir était précisément là, car l'invité était Hector Obalk, dont je suis "friande", dirais-je. IL y a  six ou sept ans, j'avais même plagié Brassens en me décernant le titre de "la fan d'Hector". Cela faisait très longtemps que je ne l'avais pas entendu (depuis qu'on ne le voit plus à la télé sur Arte, en fait), et c'était un vrai plaisir d'entendre sa voix  - qui ressemble pour moi au pépiage de ces jolis oiseaux qui viennent, légers et graciles, se nourrir à mes frais. 


Si je me sens en "intimité" intellectuelle avec Obalk, outre le fait qu'il m'apprend tant de choses que j'ignore car c'est un authentique érudit, c'est à cause, je crois, de l'arrière-plan jubilatoire qui l'entoure. Pour son dernier ouvrage sur la Sixtine, il est monté sur un échafaudage, du type de celui que Michel-Ange a emprunté. Finkielkraut était encore ému de l'exploit  (pensez ! Monter sur un échafaudage ! )  et je reconnaissais tellement "mon" Obalk dans l'anecdote que je m'en balançais un peu plus vite dans mon rocking-chair -au risque d'effrayer,, au-dehors,  les mésanges charbonnières,  toujours nerveuses quand elles sont trop proches de la maison.

Ca me faisait tellement de bien, l'enthousiasme juvénile, volubile et jubilatoire d'Obalk, en ce triste surlendemain d'investiture américaine du Roi des Cons, que mon humble cuisine devenait pavée de toutes les couleurs de la Renaissance. Certes, les hypothèses iconoclastes d'Obalk sur Michel-Ange doivent être sujettes à caution, dans les cercles 'autorisés". Moi, je m'accorde  à les trouver originales, surprenantes et surtout éclairantes.

Ainsi, pour lui, l'illustrissime scène où Dieu, sur son nuage, effleure sans les toucher les doigts d'Adam : scène donnée comme "clé" de l'Humanisme de la Renaissance, homme et dieu sur le même plan, se regardant en miroir et si semblables qu'on devine tout de suite, comme dans un mythe grec, que le fils va bien finir par zigouiller son papa.

 

Obalk la voit tout autrement, cette scène si célèbre qu'on ne la regarde plus que détournée vingt mille fois par la publicité  : notre vision moderne nous empêcherait de percevoir la perspective voulue par Michel-Ange, la scène devant se lire comme un énorme dieu, très loin, que des yeux du 16è siècle percevaient parfaitement comme relevant d'un effet d'optique perdu pour nos regards contemporains...

J'adore ça, ce genre d'hyptohèses, quand c'est Obalk qui les développe. Parce que ce type est d'une ingéniosité qui repose sur une sorte d'humilité sincère, dans laquelle je me reconnais. Pas le genre à affirmer une théorie un peu aventureuse, à l'asséner, puis à se retirer dans le silence, Obalk. Non : il commence par s'excuser, presque, d'avoir de telles idées, semble cligner un peu de l'oeil, et puis, avec le même plaisir que le prestidigateur sort un joli lapin de son chapeau, vous donne, un peu pataud, le résultat de ses cogitations.

Ca m'a fait beaucoup de bien, parce que je suis un peu frustrée en ce moments, à cause  de débats littéraires commencés ailleurs, et qui ont tourné court.  Du coup; entendre un type de la stature du critique d'art avoir une telle modestie dans une hypothèse qui, sous ses airs fantaisistes, doit puiser ses racines dans une érudition réelle (je suis sûre que son bouquin sur la Sixtine doit être particulèrement dense !), c'est comme partager -enfin- sur un pied d'égalité, une jolie conversation...

Et c'est donc fort plaisant, pour une fan d'Hector !!!

 

 

 

 

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