Une Polémique Marcel (différente, donc, de la Polémique Victor !)

ais

Alors voilà : je fréquente un blog dédié à Marcel Proust, plus précisément à la Recherche du Temps Perdu, blog qui  est sous-titré "voyages extraordinaires dans la Recherche" et qui est tenu par un certain "fou de Proust".

Une sorte de discussion s'y est engagée entre un internaute "Jean Adloff" et moi-même, à propos... de deux adjectifs employés par Proust dans une des plus célèbres scènes du premier tome de la Recherche : "du côté de chez Swann", dans la partie "Combray".

Je me rends bien compte, allez...

Un débat pour deux adjectifs... Et où je m'engage, moi qui n'ai aucun titre pour ce faire, alors que des litres et des litres et des litres d'encres universitaires ont été répandues et n'ont  même pas encore eu le temps de sécher, qu'on élucubre là autour depuis des lustres, et que, s'il y a UN livre qui ouvre légitimement à toutes sortes d'interprétations, c'est bien la Recherche.

Alors, pourquoi ne pas admettre bien tranquillement l'opinion de Jean Adloff, et vouloir "batailler" (avec le sourire quand même, hein !) là autour ? Je me mets en danger, avant tout d'être renvoyée dans mes foyers pour cause d'impertinence et d'illégitimité, et après tout pour un résultat couru d'avance : Jean Adloff est particulièrement convaincu d'avoir raison, et il semble qu'il ne soit pas le seul de son opinion, sur ces deux fameux adjectifs.

D'autant que la lecture induit cette liberté d'interprétation, puisque chaque lecteur introduit dans le texte qu'il aborde une part de lui-même...

C'est peut-être justement cela. De la même manière qu'un Onfray chaud bouillant, s'appuyant sur "le livre noir de la psychanalyse", entreprend de déboulonner la statue de Freud, de la même manière j'ai envie de défendre "ma" lecture de Proust, fondée sur le respect du texte littéral et et quelques considérations sociologiques générales, notamment sur les  clichés entourant la question de l'homosexualité.

Si le débat pouvait s'ouvrir, j'en serais enchantée...

 

En attendant, voici les deux adjectifs incriminés : "impie" et "secret",

 

et voilà le passage en question. Un des plus célèbres, à juste titre, dans la richesse psychologique du tout est superbe :

 

"Maman resta cette nuit-là dans ma chambre et, comme pour ne gâter d’aucun remords ces heures si différentes de ce que j’avais eu le droit d’espérer, quand Françoise, comprenant qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire en voyant maman assise près de moi, qui me tenait la main et me laissait pleurer sans me gronder, lui demanda : « Mais Madame, qu’a donc Monsieur à pleurer ainsi ? » maman lui répondit : « Mais il ne sait pas lui-même, Françoise, il est énervé ; préparez-moi vite le grand lit et montez vous coucher. » Ainsi, pour la première fois, ma tristesse n’était plus considérée comme une faute punissable mais comme un mal involontaire qu’on venait de reconnaître officiellement, comme un état nerveux dont je n’étais pas responsable ; j’avais le soulagement de n’avoir plus à mêler de scrupules à l’amertume de mes larmes, je pouvais pleurer sans péché. Je n’étais pas non plus médiocrement fier vis-à-vis de Françoise de ce retour des choses humaines, qui, une heure après que maman avait refusé de monter dans ma chambre et m’avait fait dédaigneusement répondre que je devrais dormir, m’élevait à la dignité de grande personne et m’avait fait atteindre tout d’un coup à une sorte de puberté du chagrin, d’émancipation des larmes. J’aurais dû être heureux : je ne l’étais pas. Il me semblait que ma mère venait de me faire une première concession qui devait lui être douloureuse, que c’était une première abdication de sa part devant l’idéal qu’elle avait conçu pour moi, et que pour la première fois, elle, si courageuse, s’avouait vaincue. Il me semblait que si je venais de remporter une victoire c’était contre elle, que j’avais réussi comme auraient pu faire la maladie, des chagrins, ou l’âge, à détendre sa volonté, à faire fléchir sa raison et que cette soirée commençait une ère, resterait comme une triste date. Si j’avais osé maintenant, j’aurais dit à maman : « Non je ne veux pas, ne couche pas ici. » Mais je connaissais la sagesse pratique, réaliste comme on dirait aujourd’hui, qui tempérait en elle la nature ardemment idéaliste de ma grand’mère, et je savais que, maintenant que le mal était fait, elle aimerait mieux m’en laisser du moins goûter le plaisir calmant et ne pas déranger mon père. Certes, le beau visage de ma mère brillait encore de jeunesse ce soir-là où elle me tenait si doucement les mains et cherchait à arrêter mes larmes ; mais justement il me semblait que cela n’aurait pas dû être, sa colère eût été moins triste pour moi que cette douceur nouvelle que n’avait pas connue mon enfance ; il me semblait que je venais d’une main impie et secrète de tracer dans son âme une première ride et d’y faire apparaître un premier cheveu blanc. Cette pensée redoubla mes sanglots et alors je vis maman, qui jamais ne se laissait aller à aucun attendrissement avec moi, être tout d’un coup gagnée par le mien et essayer de retenir une envie de pleurer. Comme elle sentit que je m’en étais aperçu, elle me dit en riant : « Voilà mon petit jaunet, mon petit serin, qui va rendre sa maman aussi bêtasse que lui, pour peu que cela continue. Voyons, puisque tu n’as pas sommeil ni ta maman non plus, ne restons pas à nous énerver, faisons quelque chose, prenons un de tes livres. »

Bon, voilà, nous y sommes.

Alors, thèse de Jean Adloff. Le "geste de la main impie et secrète" serait une masturbation du jeune Narrateur, masturbation qui serait un secret si lourd à porter qu'il en expliquerait toute la Recherche, construite à partir de ce geste "primitif" (comme la "scène primitive" de Freud, qui prétend que chaque enfant assiste aux ébats sexuels de ses parents et éprouve du même coup le complexe d'Oedipe, désir sexuel de la mère et envie de meurtre du père).

Ma thèse : le "geste de la main impie et secrète" serait une métaphore non d'un acte masturbatoire commis pendant la scène racontée, mais simplement du chagrin que l'enfant, dans sa victoire à la Pyrrhus, cause à sa mère, elle-même prise dans un conflit de loyauté.

 

Les arguments pour ma thèse sont les suivants :

 

(suite à plus tard).

 

 

 

 

 

Commentaires (1)

benoit
  • 1. benoit | 18/01/2017
des mains, ont en a deux........ !

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