Premiers pas

  • Par clopine
  • Le 08/05/2016
  • Commentaires (2)

Le quartier de Belsunce est traversé par la "rue longue des Capucins", et tous les noms de rue, ici, attestent de la présence passée d'ordres aussi religieux que catholiques. Mais pourtant, les premiers mots marseillais que j'ai entendus ont bel et bien été "salam aleikoum", et "aleikoum salam" ; les rue étroites, ici, forment un refuge pour des hommes seuls,  solitaires et surveillés (merci Gaudin) Solitaire et surveille

 

- et les commerces de fringues en  gros ou  demi-gros, qui précisent sur leurs devantures "pas de détail", paraissent étrangement inoccupés. Comme un Sentier qui serai silencieux... Le quartier doit son nom à un évêque, qui s'est dévoué pendant la peste de 1720. Faut-il rappeler que cette peste   s'est répandue à cause de l'esprit de lucre des échevins marseillais de l'époque ? Il s'agissait de vendre les étoffes rapportées d'orient par bateau à la Foire de Beaucaire. Pas question d'observer la quarantaine : on falsifia donc la réalité, et 100 000 personnes moururent...

Mes premiers pas marseillais étaient donc un peu  à li'image, (la première image !) de ce quartier, et ce n'était pas la présence, dans l'hôtel-auberge de jeunesse où nous résidions, d'un petit troupeau  de (très) jeunes filles anglaises, noires de peau et de vêtements, qui allait m'égayer. Bon sang. Elles ne portaient pas le niqab, on voyait encore leurs visages  et leurs mains (tapotant sur le clavier de leurs i-phones),mais elles étaient cependant ensevelies (à 15 ans !) sous les draps noirs de l'ostentation religieuse. Je ne suis certes pas violente, et respecte la croyance d'autrui, mais j'avais cependant une folle envie de les secouer, ces filles emmoutonnées, de leur parler de toutes ces femmes qui, au maghreb et ailleurs, se battent pour une liberté qui leur est refusée, vraie liberté qu'on ensevelit tous les jours sous ces étoffes religieuses, qui ne proclament, à mon sens, qu'une seule chose : la soumission... Les adultes encadrantes étaient, elles, habillées comme vous et moi. Je n'ai pas eu le courage d'aller discuter avec elles, et puis mon anglais n'est pas assez fiable - et la culture anglaise, frappée de communautarisme, vaut bien le bon vieux racisme ordinaire et franchouillard de mes compatriotes. Mais ma résignation n'était qu'apparente, car je ne pouvais croiser le regard des jeunes filles en noir sans indignation., de même ai-je  sursauté, en comprenant que la libraire que je voyais avec plaisir dans ce quartier populaire n'était pas ce que je croyais, mais bien une officine islamique... Belsunce, quartier d'hommes immigrés,  solitaires et âgés : je prenais grand soin d'en arpenter les rues en tenant la main de Clopin, en marchant au même rythme  que lui, en tenant une place égale à la sienne dans la rue  : ma manière à moi, bien mesquine et inefficace sans doute, mais quoi d'autre ? D'affirmer ma conviction d'une égalité possible, d'une présence féminine librement revendiquée.

Autant en emportait le vent : car le mistral soufflait, comme il sait souffler et comme je le ressentais pour la première fois de ma vie : des bourrasques froides qui sautaient au visage, qui nous attendaient au détour d'une rue, à l'ombre des murs, jusque sur les passerelles qui menaient au Mucem. Marseille subit cette violence, et ses couleurs contrastées en témoignent. Le passage de la lumière à l'ombre est coupant, absolu, vertical. Même le vieux-port,  désormais consacré uniquement au tourisme, car il s'agit d'une sorte de grand parking à bateaux de plaisance, sans plus de vie que la ronde mécanique de la grande roue foraine qui est censée l'animer, même le vieux-port, où nos pas nous ramenaient sans cesse, me paraissait n'être plus l'abri éternel qui avait accueilli, il y a plus de 2500 ans, les marchands phocéens. IL fallait désormais bien regarder, pour voir un peu de l'animation ouvrière dont avait témoignée tant de films... Marins1

 

(à suivre...)

 

 

 

Commentaires (2)

DHH
  • 1. DHH | 18/05/2016
de ce reportage, bien tourné et chaleureux sur Marseille c'est votre évocation du quartier Belsunce qui me parle le plus .
Il y a plusieurs années l'administration à laquelle j'appartenais avait commandé une étude socio économique sur le fonctionnement du quartier
je vais essayer de la retrouver
j'en retiens deux choses :d'une part le rôle du" magasin " la boutique d'un ami chez qui on passe tailler une bavette au hasard d'une deambulation ,chez qui on laisse un message pour l'ami qui passera tout à l'heure ,devant la porte duquel on se retrouve à bavarder à plusieurs avec le patron
d'autre part l'organisation du "trabandisme",ce systeme commercial de compensation qui consiste pour les expatriés qui retournent une fois par an au bled à emporter avec eux de l'electro menager neuf (machines à laver frigidaires) hors droits de douane (ils sont prohibitifs),avec lesquels ils rémunèrent en prélevant une marge une marge un entrepreneur qui leur construit une maison au pays
mais vous évoquez ce quartier bien plus joliment
clopine
  • clopine | 18/05/2016
MERCI d'avance, Danièle ! Vous savez, vous évoquiez l'autre jour l'étanchéité des différentes sociétés partageant un même territoire, mais ne se fréquentant pas. J'ai entendu exactement la même chose à propos de Prague, où les trois communautés, juive, tchèque et allemande co-habitaient, sans mélange. Mais d'un autre côté, quand on sait ce qui a suivi, comment ne pas "regretter" un temps où, même si le communautarisme déclinait strictement la cohabitation, cette dernière était quand même possible ? A Belsunce, les petites gens du quartier se sont "mis en quatre" pour Clopin et moi. Mais si j'avais été seule, et femme, dans ce quartier, le regard n'aurait-il pas été différent ? En tout cas, la chaleur humaine était non feinte ; je ne sais si vos souvenirs d'enfance comportent de tels moments...

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