Réhabilitation du capitaine France

  • Par clopine
  • Le 23/05/2016
  • Commentaires (5)

Enfin ! sur le blog du "Fou de Proust", Patrice Louis, j'apprends qu'Anatole France a été cité par Xavier Dolan, à Cannes... Commencerait-on à réhabiliter cet écrivain ? J'en serais enchantée, parce que je trouve qu'on la fort injustement traité, celui-là.

D'ailleurs, il y a dix ans, je lui avais écrit une lettre, qui est passé sur le site "bibliobs" du Nouvel Obs. Du coup, ce matin, je suis allée la relire : eh bien, je pense toujours la même chose... Voici ce que j'avais écrit :

 

Cher Maître (je n’ose vous donner du « Cher Anatole » )

Vous êtes mort, bien mort, on ne peut plus mort. J'en suis si désolée pour vous que je vais vous dévoiler le secret de votre trépas, si les anges ne l'ont déjà colporté jusqu'à vos oreilles à l'aide de leurs harpes célestes: ce sont ces salopards de surréalistes qui ont jeté, encore et encore, des pelletées d'outrages sur votre tombe illustre.

Pourtant, votre repos éternel avait bien commencé: vos funérailles furent nationales, et grandioses. On n'avait pas vu ça depuis Victor Hugo. Et de votre vivant, vous aviez récolté maintes couronnes... Mais voilà. Wikipédia (nous dirons que c'est le nom d'un célèbre documentaliste du 21è siècle, pas toujours fiable au demeurant) est formel à votre sujet:

après sa mort, il [vous-même, donc, ndlr] est la cible d'un pamphlet des surréalistes, "Un cadavre qui ne ménage personne", auquel participe Aragon avec un texte intitulé: "Avez vous déjà giflé un mort?" dans lequel il écrit: “Je tiens tout admirateur [de vous, donc] pour un être dégradé. ”Pour lui, "il" est un exécrable histrion de l'esprit, représentant de l'ignominie française. Gide le juge un écrivain “sans inquiétude” qu'“on épuise du premier coup.” Sa réputation devint ainsi celle d'un écrivain officiel au style classique et superficiel, auteur raisonnable et conciliant, complaisant et satisfait, voir niais».

Allez ne pas vous retourner dans votre tombe, après ça : de quoi vous gâcher l'au-delà, à coup sûr, et raréfier les visites que vous pourriez y recevoir. Et pourtant, je vous le dis tout net, vous êtes à mon sens la victime d'une injustice flagrante et qu'il faudrait réparer.

Comment en suis-je arrivée à cette conclusion, alors que d'autres illustres oubliés, comme Paul de Kock tenez,  ou Novalis, me laissent indifférente? Par hasard, bien sûr, il fait généralement bien les choses. Figurez-vous, cher Anatole (allez, je saute le pas), que j'ai eu la chance de tomber sur vos ouvrages, lors d'une expédition dans un grenier, au moment précis où mon goût se formait, presque malgré moi, et où j'acquérais une sorte de petite conscience personnelle, qui me faisait douter du «littérairement correct» de l'époque et me fier à mon propre plaisir. Et du plaisir, vous m'en avez donné. Vous m'en donnez encore. Vous êtes un des rares qui m'accompagnez depuis toujours, depuis mes seize ans, et que je sens toujours plus proche de moi.

Bien plus: je n'arrive pas à haïr votre langue, dite «classique» (vous étiez nourri de grec) mais que je trouve surtout limpide, coulante, légère, ironique, belle en un mot. Non que les âpres écrivains de ma jeunesse, à la recherche du degré zéro de l'écriture aient été dénués de toute pertinence et de tout talent. Je pouvais me plonger dans un Butor, comme en apnée et déambuler, muette d'admiration, dans les entrelacs mentaux d'un Roland Barthes... Mais votre langue à vous, mon cher Anatole, est cependant une de mes préférées.

Vous, vous étiez un grand'père malicieux et tendre, aux pieds duquel je pouvais toujours venir déposer mes petits chagrins, et m'en bien trouver, réconfortée et divertie, dans le plus noble sens du terme. J'ouvrais votre «Thaïs», qui commence par un ironique désert... tout peuplé -d'anachorètes il est vrai. Je souriais aux désirs de Jean Servien, je me réchauffais à la rôtisserie de la reine Pédauque et trouvais que, ma foi, votre bibliothèque où les chats passent parmi les livres était un endroit où j'aurais bien aimé vivre. Du diable si je ne le pense pas encore...

Quand j'ai grandi un peu, il le faut bien, et vous, l'auteur du si charmant «Livre de mon ami» qui vaut bien tous les Pagnol -et de loin-, le savez mieux que quiconque, j'ai commencé à avoir la plume qui frétillait. Si personne n'osait s'en moquer ouvertement devant moi, l'indifférence et l'incrédulité ont cependant accompagné mes premiers pas. J'ai passé outre, en pensant à vous.

Après tout, serait-ce un crime aussi grand que celui de Sylvestre Bonnard, que je le commettrais quand même. Plus personne n'écrit, plus personne ne peut écrire comme cela, me dit-on. Et pourquoi, au fait? Ma manie, puisque c'en est une, ne fait de mal à personne. Et si elle peut vous apaiser, vous tout malmené dans votre tombeau, et vous dire que bien sûr, on peut vous lire encore, et en tirer grand profit, au point d'espérer manier un jour une langue aussi pure que la vôtre, eh bien, ce serait déjà cela de pris. Je n'arrive pas, en effet, à vous mépriser, ou à vous refuser mon admiration. Et moi qui suis bien peu nationaliste, je vous avoue que c'est surtout grâce à vous, et à votre nom, que j'accepte de me sentir française, cher Anatole!

Clopine Trouillefou

 

 

Commentaires (5)

Chesnel Jacques
  • 1. Chesnel Jacques | 19/06/2016
Je découvre ton billet un peu tard... mais mieux vaut tard que jamais et vieux motard que j'aimais... BRAVO, BEAU BILLET... avec la bise
Cactus le russe
  • 2. Cactus le russe | 24/05/2016
C'est géant vert , je suis marron
DHH
  • 3. DHH | 23/05/2016
moi j'aime en Anatole France, le chantre souriant de la laïcité ,8516 qui dans 'l'orme du mail " rend avec tant d'humour et d'élégance les hésitations et les incertitudes de la France profonde devant l' irruption de ce concept dans le paysage politique des lendemains de la séparation .

j'aime aussi la maniere dont il utilise l'apologue dans l'île de pingouins pour afficher avec vigueur son dreyfusisme militant
clopine
  • clopine | 24/05/2016
Alors, là, Danièle, vous m'épatez carrément. Je croyais bien connaître l'oeuvre de France, mais vous m'avez visiblement devancée : et me voici curieuse des textes dont vous parlez, et que j'ignore encore !
Al Ceste
Stop, on ne dit pas de mal de Pagnol !

http://misentrop2.canalblog.com/archives/2016/03/03/33458005.html

http://misentrop2.canalblog.com/archives/2016/02/14/33371400.html

Mais merci de ressusciter un France qui le mérite.

Ajouter un commentaire