Des musiques pour une vie...

Oui, je pourrai résumer ma vie par ces quelques musiques qui l'ont jalonnée - chacun de nous possède ainsi un répertoire intime, coloré et changeant, qui peut raconter à sa manière toute l'histoire.

Je passerai très vite sur le concours de chant organisé par le club Mickey de la plage de Blonville -sur- mer, en 196?, où je n'ai remporté,  que le second prix, et encore,   en beuglant  un tube quelconque de ces années-là, yéyées et d'une telle pauvreté artistique que c'en était presque un crime - victoire douce-amère, dont je me remis très vite : ce n'était pas moi qui chantais, à la maison, la place était déjà  prise par ma grande soeur à la satisfaction générale : je n'eus donc aucun regret en savourant les carambars et en affichant la casquette Minnie, d'un rose douceâtre, trophées dérisoires  qui attestaient de mon incomplète victoire. De toute façon, était-ce bien de la musique, que tout cela ?  Encore aujourd'hui, j'ai comme un sursaut de révolte à l'évocation des noms de Maritie et Gilbert Carpentier, iniques pourvoyeurs de mon enfance, boucheurs de cérumen, abêtissant jusqu'à l'envie les jeunes téléspectateurs qui avaient, les malheureux, l'impression d'être modernes...

 

Le premier souvenir musical gravé dans ma mémoire date de mes dix-huit ans, quand j'avais fui la maison parentale. C'était à Rouen, à l'abbatiale Saint-Ouen. Je traînais, cet après-midi là. J'étais (enfin) libre, et j'usais encore avec parcimonie et prudence de l'avenir qui semblait (enfin, derechef) m'appartenir. J''ai entendu des voix, à l'intérieur de l'abbatiale. Je suis entrée par la porte latérale : je ne sais pourquoi, l'accès était libre pendant la répétition du concert du soir. C'était une chorale comme je n'en avais encore jamais entendue, accompagnée d'un orchestre nombreux. Au moins 50 choristes et une bonne quinzaine de musiciens, au bas mot. Je me suis assise à côté d'une Dame, replète et élégante, accompagnée d'un Monsieur bien mis.

La musique a comme forcé un barrage - les fameux bouchons qu'on avait enfoncés dans mes oreilles à force d'entendre la voix de Pierre Bellemare sur Europe 1 - et j'ai ressenti une telle émotion, d'un coup, que j'en ai eu les larmes aux yeux. Je me suis timidement penchée vers la Dame, et ai osé demander : "excusez-moi, mais connaissez-vous le nom de cette musique ?"

La Dame était à ma hauteur, assise à mes côtés, mais son regard s'est pourtant abaissé vers moi, me ratatinant de la prunelle, avec comme un ricanement gêné : "Mais enfin ! C'est le requiem de Mozart, le "Kyrie", voyons !! Vous sortez d'où ?"

J'ai rougi. Et je rougis encore d'avoir rougi.

Mon second souvenir musical entame une longue série : celle des découvertes que les garçons de ma vie d'alors m'ont offertes, sans que j'ai rien eu besoin de demander. Debussy, par exemple. Jean-Louis (dans ma génération, c'était très difficile d'échapper aux "Jean quelque chose") m'avait offert un "coffret-intégrale", mais la pauvreté de ma culture musicale m'en interdisait la compréhension, donc l'émotion, pour la plupart des oeuvres, auxquelles je n'accèderais qu'au terme d'un apprentissage difficile.

. Sauf pour un morceau, qui m'a paru tout de suite accessible et ouvrant la porte : les "danses sacrée et profane", avec ces échappées de harpe qui allégeaient le martèlement rythmique. J'entrais dans un monde dont j'ignorais jusque là l 'existence...

La suite à plus tard

 

 

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