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Julot, le pré et les moutons - 5/3/06

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  • Le 26/12/2015
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II faut bien reconnaître qu'avec les meilleures intentions du monde, Saint-Exupery a beaucoup nui à la cause ovine : quelle idée, cette histoire de mouflet réclamant qu'on lui dessine UN mouton. UN mouton ! Quelle aberration! Même simplement dessiné sur le carnet d'un aviateur, c'est horriblement malheureux, un mouton tout seul ! (presqu'autant qu'un petit prince sans sa rose...)    N'importe quel berger vous le dira : une vraie vie de mouton, c'est, d'un, de I'herbe, de deux, dès qu'on lève la tête hors des touffes, la vision de l'autre, du semblable à soi, du tout pareil, en train de faire exactement la même chose que vous, au même moment. II n'y a que cela qui rassure vraiment. Hors du troupeau, point de salut. A la moindre alerte, il faut vite se serrer les uns contre les autres, le nez dans la laine et la bonne odeur de son voisin. S'il faut courir, courir ensemble, tous ensemble, quitte à sauter les uns par-dessus les autres comme des athlètes olympiques, au 110 mètres haies !

Donc, DES moutons. Voila qui est dans I'ordre des choses. Des moutons, un pré, et un chien, bien sûr.

A Beaubec, il s'appelle Julot.    

C'est un chien de berger, ce qui signifie déborder d'enthousiasme dès que la barrière du pré s'ouvre, s'élancer en prenant tout juste le temps, au bout de dix pas, de jeter un rapide coup d'oeil en arrière pour bien vérifier les intentions du maître (« C'est bien cela ? Je ne me suis pas trompé ? On va bien aux moutons ? » ), redresser fièrement son panache noir, dont le bout blanc viendra caresser son échine au terme d'un arc de cercle presque parfait, et débouler à toute berzingue, en traversant le pré à I'oblique. C'est un vrai bonheur : le vent aplatit les poils autour du museau, les muscles, les pattes, tout obéit à la perfection dans une course parfaite, et les moutons, comme un seul homme (évidemment), se rassemblent en une masse compacte, tremblante, prête à obéir...    

Enfin, cela devrait se passer ainsi.  

Julot est un Border-Colley, et toute sa race, noire et blanche, s'est spécialisée dans le gardiennage : ses frères irlandais, par exemple, arrivent à diriger seuls des troupeaux de plus de cent têtes, pendant que le fermier, accoudé à la barrière, dirige simplement la manoeuvre, à coups d'ordres brefs et précis... 
   On m'a dit aussi que les Colleys sont des « fixed-eyes » , ce qui accroît encore leur autorité sur les troupeaux. Ce serait le signe de leur relative proximité avec I'ancêtre redoutable, le loup, qui lui aussi fixe « droit dans les yeux » ses futures victimes. Les autres chiens de berger, plus domestiques, détournent le regard en gardant le troupeau.    Quoi qu'il en soit, Julot possède tous les atouts pour régner en maître parmi nos moutons, d'autant que nous n'en avons qu'une quinzaine. Pourquoi donc est-il si difficile de les faire obéir ? II faut mobiliser les voisins, les gamins, et une belle énergie, quand il s'agit de les parquer dans I'étable, ou de les changer de pâture. Nous voilà tous dans le pré, déployés en ligne comme des rugbymen montant à I'essai.. Le match commence, et s'il finit à chaque fois par la défaite de I'équipe ovine, il peut durer un certain temps... Oh, Julot est persuadé qu'il tient sa place: aplati dans I'herbe et les yeux rivés sur les brebis, ou encore tournant autour du troupeau , il s'arrête et repart quand on le lui demande.    Mais nous savons tous qu'il est inefficace. On ne le lui dit pas, évidemment, pour ne pas lui faire de peine et par égard envers sa noble origine. On lui laisse croire qu'il sert à quelque chose. Mais personne, et surtout pas les moutons, n'est dupe.    Parce que notre grand chien noir et blanc, notre valeureux, obéissant et intelligent compagnon, notre beau chien de berger si rapide à la course, aux longues canines si solides qu'il brise I'os du gigot d'un coup, notre fidèle entre les fidèles, notre Julot, quoi, a hélas un grand défaut : II est doux comme un agneau....

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