L'appel à Tartes (6)

Tarte N°6, dite « et pour cela préfère l’impair »

Bien entendu, j’ai accumulé un tel nombre de gaffes, pendant cette semaine oulipienne, qu’il faudrait un souffle un peu plus puissant que le mien pour  en dresser l’inventaire  avec exactitude.

Je  vais vous en citer cependant quelques unes,  histoire de me déculpabiliser un tantinet  :

  • A l’annonce des résultats, je veux dire quand j’ai appris que je rejoignais, (ô surprise), l’atelier animé par Hervé Le Tellier, j’ai interpellé ce dernier dans la cour de l’école. D’un ton léger (enfin, d’un ton léger dans ma tête, toute encore imprégnée des facéties Le Telliériennes en matière de courrier à François Mitterrand), je l’ai abordé en ces termes : , « Dites, Monsieur Le Tellier, je voulais vous dire « merci », car c’est grâce à vous si je suis ici… » Et puis j’ai voulu faire ma maline, et  j’ai ajouté d’un ton plaisant, cherchant la complicité quoi, (le tout toujours dans ma tête, évidemment)  : « mais vous savez,  je suis difficilement soluble dans le collectif, alors  en cas d’échec,  je vous en tiendrais responsable…. »

Le Tellier (qui sifflait son gobelet de café sans daigner même regarder celle qui lui adressait ainsi la parole), me répondit, impeccablement imperturbable : « Bien entendu ». Et il me tourna le dos. Aussi sec.

Gloups.

  • La pause de midi me troubla encore plus, car personne ne sembla s’occuper de personne. En pareille occurrence, généralement, l’animateur dit quelques mots sur les modalités pratiques des repas,  se joint souvent au groupe et en profite pour faire faire connaissance aux uns et aux autres. Là, pfffouuu…  Tous les oiseaux s’envolèrent d’un coup, laissant quelques isolées, qui avaient le seul tort de venir pour la première fois,  mâcher solitairement leurs sandwichs touristiques. Dont moi, évidemment.

Re-gloups.

  • Mais là où je compris que j’allais vraiment être exclue de cette Cène où, de part et d’autre du Christ-Oulipien,  12  disciples s’agitaient, ce fut quand on m’expliqua qu’il était fort mal venu, de ma part, de râler contre le prix à mes yeux excessif  de la bouteille d’eau vendue, non dans une épicerie qui n’existait pas dans ce centre ville touristique, mais dans une « paneterie » : d’abord, « ce n’était pas si cher que cela », estima-t-on ( eh oui, tout est relatif, même la pauvreté). Enfin, une bonbonne était à disposition de toutes,  dans la salle. Ne l’avais-je pas vue ?
  • Beh non, je n’avais pas vu la grosse bonbonne, et je commençais à  comprendre qu’en plus du strict règlement intérieur du Jockey Club de l’Oulipo, il y avait, dans les ateliers ouverts au vulgum pecus, un règlement non écrit mais qui classait les participantes entre « celles qui en étaient » et « celles qui n’en étaient pas ».

Re-re-gloups : je vous laisse deviner  quel camp était le mien.

 Je n’avais cependant pendant encore pris bien  conscience que toutes ces gaffes étaient de  ma faute,  de ma très grande faute, comme de ne pas savoir où étaient ces p… de toilettes particulièrement bien cachées et non signalées, dans l’immense bâtiment harmonieux mais négligé où des restes de l’année scolaire, grands cartons, toiles bâchées, trainaient encore un peu partout.

 Je les cherchais longtemps, ces toilettes, n’osant pas interrompre les groupes de travail par une question intempestive, et pourtant il était urgent que je libère ma vessie, mais disons qu’à ce stade  mon méat  ne culpait pas encore, enfin, pas trop.

Mais ça allait changer très vite, et j’allais m’apercevoir que j’avais définitivement tiré la « boule noire » du blackboulage qui allait être mon lot.

  • J’avais en effet  cru que les ateliers oulipiens,   certes adaptés à un « grand public » moins érudit et moins  spécialisé que les écrivains « officiels », mais néanmoins pourvu des références nécessaires,  avaient comme but de nous distraire, voire même de nous instruire en nous amusant, comme chez ce cher Rabelais.

Qu’on était là pour rire, quoi, comme on rit en écoutant les Papous de Françoise Treussard…

Je croyais même , simplette que j’’étais, qu’on allait jouer à des jeux papous :  le délicieux et terrible diagnostic à l’aveugle, le « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué », le « +7 », les lipogrammes en « w « (les seuls à ma portée…),  les « experts contre faussaires », les fables revisitées, bref, tout ce qui m’ enchantait auditivement, pendant que je dégustais  mes poulets dominicaux.  Tout ce  à quoi j’ai joué avec le pauvre Jim,  pendant tant d’années, pendant qu’il me faisait écouter  Satie et qu’il comparait  l’humour de Perec à celui de Carroll… (nostalgie !)  

Or, toutes les filles  étaient formelles, et même le prof   le préposé Oulipien.

Ici, on  ALLAIT TRAVAILLER,  NON MAIS.

Il ne s’agissait pas de batifoler, mais bien d’acquérir très sérieusement les rudiments des techniques que  les grands ancêtres vénérés avaient utilisés  pour bâtir leurs chefs d’œuvre. 

Ou, pour employer une autre image, il ne s’agissait pas de faire tourner, comme le petit Marcel sur les Champs-Elysées, la roue de l’Homme de Vitruve de Léonard sur elle-même,  à l’aide d’une baguette pour voir combien de temps elle tournerait avant de se casser la gueule. Il s’agissait plutôt, armé de règles, de compas et d’équerres mentales,  de calculer les angles qui servaient au contraire à la faire  tenir debout…

Nuance.

L’atelier tout entier se déroulerait, journée après journée, en deux phases : un, chacun de nous écrirait un texte respectant des consignes et les contraintes formulées par le maître, le prof,  euh, l’animateur-écrivain de l’atelier, même si ça devait durer 6 heures d'affilée,

Deux , chacun de nous lirait son Oeuvre à toutes les autres, réunies dans la concentration d’une audition respectueuse, pendant disons une heure et demie-deux heures.

Ce programme  n’était encore rien.

Le travail étant du coup « difficile », on nous demandait de la concentration, de l’humilité et, si possible, le « moins de bruit possible ».

Je vous  jure ; quand j’ai appris ça, une fourmi commença à parcourir doucement mes orteils, puis mes chevilles, remonta vers mes genoux, traversa rapidement ma région pelvienne, explora mon ventre rebondi, dédaigna mon soutien-gorge et s’implanta directement dans ma gorge, où elle se ficha droit, empoisonnée telle une pointe  sarbacanée par un arumbayien tintinophile.

 Car bibi,  j’étais venue en VACANCES.

 D’ailleurs, je suis  formelle : toutes les affiches, tracts, flyers annonces sur facebook et autres précisaient que  la manifestation oulipienne s’appelait :

«  RECREATIONS »

(vous pouvez vérifier, je vous en prie)

Récréations ! Mon cul sur la commode, oui…

Et c’est alors que je me rendis compte que :

  •   D’abord, il avait fallu attendre onze heures pour que quelqu’un propose qu’on affiche nos prénoms, et je n’avais pas pu les lire, vu la disposition malcommode des tables. Je ne savais donc pas du tout avec qui j’étais, d’autant qu’il n’y avait même pas eu le traditionnel  « tour de table »  où chacune, en  trois phrases,  se nomme, dit de quelle  région elle  vient et pourquoi, en trois mots, elle est là, si c’est la première fois ou non, etc.
  • Ensuite, l’annonce du programme, à savoir qu’on allait TRAVAILLER  et ACQUERIR  DES TECHNIQUES que chacune, à sa guise, pourrait ensuite exploiter avec le brio qui serait le sien, n’avait semblé  épouvanter personne,  sauf moi. Toutes mes compagnes, sauf une ou deux (dont je reparlerai), semblaient  aussi volontaires pour ce programme épouvantable  qu’un groupe de scouts de France embarquant pour une petite croisière au large des côtes bretonnes, sous l’égide de leur berger spirituel préféré (quoique rude). Le vent, résolument positif, fouettait les visages et élargissait les sourires…

 

  •  Ces deux circonstances mises en parallèle me firent d’un seul coup comprendre l’évidence.  En fait, mes compagnes  entassées autour de cette maudite table de cours, trop longue et trop étroite, qui  empêchait toute convivialité, JE LES RECONNAISSAIS.

 

 Comment avais-je pu les oublier ?

Certes, elles avaient un peu changé, étaient plus souriantes que dans mon souvenir, d’un abord ma foi un peu  plus plaisant qu’autrefois.

Mais c’étaient bien elles : c’étaient toutes mes anciennes professeures de mathématiques, d’anglais, d’histoire-géographique ou d’économie, enfin, toutes celles dont j’avais eu tellement la trouille : ils n’y avaient qu’elles qui pouvaient ainsi se pourlécher d’avance à l’annonce d’un programme aussi laborieux.

Mon intuition se confirma très vite, dès que j’ouvris la bouche malgré l’interdiction. (ça aussi, c’était du vécu).

 

Quand j’ai  demandé  au prof quelques explications supplémentaires  sur l’énoncé du problème qu’il nous exposait, ma voisine de face m’informa  en effet, assez sèchement, que «  poser de telles questions, c’était bien, m’enfin que ça enlevait du temps à tout le monde, ça dérangeait quoi,  et que je n’avais qu’à faire comme les autres, ce n’était pas si difficile à comprendre,  tout de  même » 

C’était elle !  

 Le  ton de la  voix, la légère commisération de la phrase, la sûreté du  jugement sur moi, l’assurance du  bon droit avec lequel  elle allait me coller un 2/20,  la condescendance  consciente de l’évidence du service rendu  en me remettant à ma place « pour mon bien » : c’était bien Madame  Grangier, ma prof de maths de la quatrième 4è 3 de 1969 (ou bien c’était sa descendante directe, enfin quelqu’un qui partageait visiblement le même ADN) . Et elle était là avec toute l’ancienne salle des profs…

 

Donc, en résumé et à quelques exceptions près,  j’allais consacrer  ma semaine de « vacances » à « travailler »  avec  les descendantes directes de celles qui avaient marqué,   au fer rouge de l’ennui,  les heures les plus longues et les plus pénibles de ma vie scolaire…

 

« RECREATIONS  »

!!!

Douze culs, au moins, sur la commode, oui.

 

(la suite moins indignée mais tout aussi désastreuse, voire plus, demain.)   

 

Commentaires (1)

Marco
  • 1. Marco | 23/07/2016
Ha! Ha! très drôle, Clopine - vous allez encore énerver plein de monde, mais vous avez l'habitude...
Après Eric Poindron, l'Oulipo - avec vos expéditions récréatives, vous allez tous les exténuer, nos fringants animateurs lettrés!
En tout cas, pas de vieille prof' de français signalée parmi vos rudes compagnes, ça fait plaisir :)

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