L'appel à Tartes (7) : l"X" dans les équations oulipiennes...

Le récit vengeur que j'ai commis ici, fraîchement revenue, visait bien entendu à me réparer. Je vais le finir, mais  j'en demande d'avance pardon  (sait-on jamais !).

 Car je ne voudrais pas que quelqu'une que j'aurais croisée,  là-bas, en ressorte  froissée, ici.

  Sauf "X", bien entendu ; dans son genre, "X"  a en effet  atteint des sommets.

 Le "couloir" me l'a appris dès le premier jour :  "X"  était  " la maîtresse de Y", (je n'ai pas bien compris qui était "Y"" , et en plus je m'en foutais royalement, m'enfin on ne pouvait échapper à cette information, semblait-il ). Cela lui permettait  d'avoir pour le coup une attitude royalement conquérante et irradiant la confiance en soi (malgré une nervosité certaine, une beauté déjà bien attaquée par l'âge et une sorte de  fausse réserve   -comme si elle avait eu envie de rompre un incognito subi malgré elle -  tout en allant fumer clope sur clope à la fenêtre, ).

 Ce statut particulier semblait   lui  accorder quelques privilèges :  arriver avec deux heures de retard,  sans même s'excuser,  s'asseoir pour débiter son texte, échappant ainsi à celui des  onze autres produits la veille , dont nous écoutions patiemment le rendu oral depuis le début de la matinée,    distribuer  conseils et avis en faisant bien sentir qu'ils étaient "autorisés" et donc "indiscutables",   et enfin  bien spécifier à l'organisatrice  venue relever les noms des participants au banquet  final, "qu'elle, elle  ne faisait pas partie des stagiaires, n'est-ce pas, mais de "l'équipe" des organisateurs, 'invités d'honneur et personnalités".

Ben voyons.

Nos rapports furent évidents de suite : elle eut envie de me gifler aux premiers et derniers mots échangés.

Qu'aurions pu nous dire, d'ailleurs, puisqu'ellle  trouvait, elle, "absolument génial qu'il n'y ait eu aucun tour de table ni aucune espèce de dynamique de groupe mis en place : au contraire, la création littéraire des textes écrits en commun serait  ainsi sublimée par notre absence d'esprit de groupe, car nous n'étions pas là pour nous aimer, mais bien pour acquérir des techniques qui allaient nous permettre d'approcher la  génie  littéraire dans ce qu'il  avait de plus fondamental. "... Elle  approuva bien évdemment  sans réserve (voire en le suggérant)   le choix final  du texte "écrit en commun", clou de la semaine qui devait être enfoncé devant l'ensemble des participants pendant la dernière soirée,  et qui   fut évidemment à l'opposé de mon goût personnel.

Je reconnais que peu de gens y sont arrivés,  mais  "X" me fit taire :  j'atteignais, avec elle, un tel niveau de non-communication que seul le silence pouvait permettre notre coexistence dans la même pièce, et j'eus la sagesse de m'y tenir...

 Mais ce serait évidemment mentir que de brosser ainsi le portrait de toutes les participantes. En réalité, nombre d'entre elles étaient des  femmes empathiques, intelligentes et cultivées,  plutôt fines et aux remarques frappées du bon sens. Je me souviens du  sourire réconfortant de l'une d'elles (la seule, d'ailleurs, qui  me tendit la main à mon départ...)  : j'avais tenté d'expliquer mon malaise, elle m'avait écoutée (vraiment, pas comme d'autres dont la conviction d'être au nirvana bouchait les oreilles pire que le cérumen )   et crue - mais m'avait répliqué, avec justesse, que le manque de convivialité  que j'éprouvais  au sein du "groupe" provenait peut-être aussi de ma propre attitude  : pourquoi  faire l'effort d'aller parler à  quelqu'un  à la mine renfrognée et à la nette tendance à l'isolement ?

C'était parfaitement juste. Or, si j'ai beaucoup de défauts, j'ai au moins une qualité : quand on me met le nez dans ma merde, j'admets qu'elle sent mauvais. 

Après tout, je n'avais pas à juger l'attitude de Le Tellier, et à balancer si sa froideur provenait de la timidité, de l'arrogance, ou d'une réserve pédagogique visant à l'égalitarisme en vigueur dans nos écoles républicaines.  Certes, son stage était si scolaire  que, dès le second jour, j'en étais venue à lever le doigt pour poser une question, et j'avais spatialement dégringolé du premier rang (près du maître) à la toute dernière place, la plus éloignée (au bout de la pièce) ; certes, ostensiblement, ma plus proche voisine avait changé de place. Certes  enfin , j'avais l'impression que nos "créations littéraires fondamentales"  nous valaient un bon 12,  et que s'il n'y avait pas de quoi rougir, il n'avait pas non plus à pavoiser...

M'enfin, si ça ne lui posait pas de problèmes, à Le Tellier,  et s'il était aimé ainsi, de quoi donc me mêlé-je ?  Le malaise pouvait provenir  de ma personnalité rebutante... C'était elle qui me valait cette froideur et ces avanies...

Bref, en un éclair de lucidité, je me suis dit :

"Mais c'est bien sûr ! Michel Houellebecq, c'est moi !"

Je sentis aussitôt que cette formule n'aurait pas grand avenir, et surtout qu'elle ne m'aiderait pas à passer la semaine. Heureusement, les coups de fil quotidiens de Clopin, qui insistait pour que j'insiste, m'aidèrent à tenir le coup.

Eux, et une 'intervention chaleureuse et débonnaire, qui seule, je crois bien, aurait pu me servir de bouée, ustensile devenu si  nécessaire à ma ligne de flottaison, totalement défaillante  : Yan Monk (officiellement chargé des "débutants"),  oulipien patenté,   vint s'occuper de notre "groupe" pendant une matinée.

La veille, on avait entendu, à travers les cloisons, de longues rafales de rires provenant de la séance qu'il animait, qui rendaient encore plus assourdissant, par constraste, le terne silence qui entourait nos travaux appliqués.

Dès que Yan, avec bonhomie, entra dans notre salle, il apporta une chaleur que j'avais crue incompatible avec l'esprit oulipien. Non seulement il remarqua d'emblée que la disposition des tables n'était guère conviviale, et nous la fit changer (mais "X", dès le lendemain,  rétablit celle d'origine, et sur une question demandant pourquoi on changeait à nouveau , elle eut ces mots sublimes "J'ai  décidé unilatéralement de rétablir la disposition de départ, car sinon je manque de place" (*) , réplique qui vous montre à quel point ma résolution de garder le silence avec elle était héroïque, en vrai), mais il tint à nous rassurer d'emblée sur  les consignes, dont le respect pouvait être relatif,  sur  la valeur de notre travail, qui n'avait aucune importance, et nous recommanda surtout de prendre du plaisir...

J'étais sauvée.

L'étais-je vraiment ? 

 

(suite encore plus pathétique à plus tard, mais j'ai des bagages à défaire, alors...)

 

(*) : totalement authentique.Hélas.

 

 

 

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