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L'art des Cris...

 Si je m 'accorde une qualité, c'est bien celle de lectrice : mais cela ne signifie rien, hélas, sur l'art d"écrire  :  car mes lectures faisaient partie d'un temps qui n'est plus celui d'aujourd'hui, et ce qu'utilisaient les écrivains n'est plus "valable" (quel vilain mot), tel le ticket du métro, pardon, du RER, au-delà d'une certaine limite.

l'art décrit, l'art d 'écrit, l'art des cris dornavant , est, à mon sens, de plus plus en difficile à utiliser, si le but que l'on recherche est celui de  décrire ce moinde, et sa propre posture;

Et ce, parce que la littérature avait  toujours fait bon ménage avec la nature, dans une relation disons "essentielle", et que ce n'est plus le cas  : le petit Marcel embrassant en pleurant ses aubépines était tout entier issu d'un temps littéraire où les émotions humaines étaient peintes avec le matériau du monde sensible.

En un mot, il suffisait de parler du rouge-gorge sautillant sur l'appui de la fenêtre et nourri par une jeune fille blonde aux cheveux tressés pour faire naître, tour à tour, l'amour mélancolique pour les jeunes recluses, le coeur bondissant sous l'ennui quotidien, et le feu sous la glace si cher aux blondes hitckockiennes et à Catherine Deneuve.

Je sais parfaitement (et les jeunes gens, nos grands fils et leurs compagnes, qui hantent désormais Beaubec, aussi rapides, vifs et intermittents que les hirondelles revenues nicher sous la grange tous les printemps,  m'en persuadent un peu plus  à chacun de leurs haltes passagères) que la "nature", le "monde sensible", le registre des pierres, des plantes, de l'eau, du feu, de l'animal aussi, les éléments quoi, (de moins en moins "premiers") ne sont  plus "pertinents" pour exprimer ce que mes jeunes contemporains vivent, et comment ils perçoivent le monde qu'ils partagent et qui les nourrit. 

IL faudrait avoir vingt ans, peut-être, et bien du talent sans doute, pour comprendre et retraduire ces nouvelles (et pour moi, mystérieuses)  manières d'être au monde : arriver , en décrivant comment un pouce glisse sur la matière transparente, dure et monolithique d'un écran tactile,  arriver à faire sentir l'effroi d'un appel amoureux, ou au contraire la désinvolture d'un égoïsme, ou l'angoisse d'un désarroi sans nom : mais je suis bien trop vieille pour comprendre et partager cela.

Oh, ma génération a bien pressenti  les choses, pourtant  : le parallélépipède noir et glacé de "2001, l'odyssée de l'espace" préfigurait assez bien, à mon sens, ce qui nous arrive. Et c'est un   défi formidable qui attend aujourd'hui celui qui voudrait se servir des mots pour parler de soi  et des autres :  par exemple, la tentation d'un suicide pourrait, devrait sans doute, être illustrée par une panne de téléphone portable, allez savoir... 

J'éprouve donc une ormidable incapacité à sentir le monde actuel comme descriptible, saisissable, à  portée de mots. Mais c'est cette incapacité même qui m'aide  à vivre aux champs, alors que c'est une existence dure et solitaire...

 

 Car ici, (et contrairement, donc, j'insiste, à ce que vivent l'immense majorité de mes contemporains, de plus en plus éloignés du monde sensible et donc de moins en moins aptes à en profiter pour l'humaniser de mots  l'usage de la métaphore comme  médium  entre le sentiment éprouvé et le monde réel est aussi aisé, apaisant, évident que le geste de boire un verre d'eau pour étancher sa soif.

(etsi  je connais un peu mieux maintenant le vocabulaire de la ruralité - alors que nos jeunes gens sont bien incapables de distinguer un rouge-gorge d'un chardonneret, par exemple, je ne sais pas même simplement  nommer la moitié des objets qu'ils manipulent tous les jours,  d'un autre côté).

Le givre, qui s'est installé deuis hier,  un peu partout,  après un vilain brouillard dense, en est un parfait exemple. La conscience du mouvement de toute chose est d'habitude comme cachée, imperceptible. Mais la gaine étincelante, de ce blanc inflexible du froid, qui enveloppe chaque objet "du dehors" produit le même effet qu'un cliché pris sur le vif : les branches comme entravées par leur élan, et ployant sous le poids de glace, révèlent chaque arbre à lui-même : comment ne pas se servir de ce qui est fourni, ici, à portée de regard, pour exhaler le sentiment si humain, en ce 31 décembre, de nostalgie du temps qui passe et d'appréhension de l'avenir ?

Nous sommes tous (et j'entends ici les occidentaux), aussi "révélés" par notre époque que la géométrie et le mouvement des choses sensibles le sont  par le givre. Et sans doute n'est-ce pas un hasard si ce mot sert, en qualificatif, pour la désignation d'une sorte de folie.

 

Givre 4

ais

 

Commentaires (1)

Zoë Lucider
  • 1. Zoë Lucider (site web) | 31/12/2016
Chère Clopine, les liseuses sont de moins en moins nombreuses. Même moi qui restent une adepte ndéfectible de cette activité, je m'aperçois que les livres me tombent plus volontiers des mains qu'avant et que ma fréquentation de FB m'incline à zapper bien plus que je ne l'envisageais. Allons, nos enfants lisent, mais pas Proust, ils lisent les images des films, les messages des youtubeurs et ils jouent à toutes sortes de jeux qui mobilisent leurs neurones. Mais il est vrai que nous ne partageons plus les mêmes références. Cela suscite, il est vrai une vrai mélancolie. Connaissez vous cette émission du dimanche matin à 10h sur Inter 'Remède à la mélancolie?". Si ce n'est pas le cas, je vous la conseille. Délicieux moment. Bien à vous

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