Libre villanelle
- Par clopine
- Le 08/06/2016
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- Dans Mes textes
Ca s'affolait dans la grande salle : j'y suis allée voir. Grands battements d'ailes, coups sourds de l'oiseau étourdi contre les vitres et les meubles... Et présence de deux Assassins, ce qui n'arrangeait rien aux affaires de l'oiseau...
Non, ne vous récriez pas : ce sont vraiment deux assassins que ces deux-là, j'ai nommé le Gros Chat Roux et le Chien Fidèle. En ce moment, dès sorti dans le jardin, Rouky n'a que ses griffes à cran d'arrêt à tendre, et il chope musaraignes et oisillons, à foison, et hier, un jeune loir. Quant à Ti'Punch, n'est-ce pas lui qui, en février, a tué un tout jeune agneau, comme ça, par plaisir ? S'il avait été vraiment chien de berger, un tel meurtre lui aurait valu un coup de fusil, dans la grange. Mais, soupir, nous sommes contre la peine de mort, et avons changé le jugement en simple (mais formelle) interdiction de pré, à perpétuité...
Là, l'oiseau égaré dans la maison n'en menait pas large : le gros chat roux était déjà monté sur le dossier du divan, et, fixant de ses yeux verts et cruels l'emplumé, il calculait son élan... Quant au chien, à la porte d'entrée, il suivait toute la scène en gémissant un peu, par convoitise de ce qui allait se passer...
Je suis donc intervenue, tel dieu retenant la main d'Abraham. J'ai crié après le chat, qui en a sursauté de surprise et a filé sans plus demander son reste. Intimé l'ordre au chien de sortir de la pièce. Ouvert en grand les trois fenêtres.
L'oiseau s'était réfugié derrière le secrétaire : j'ai poussé le meuble, pour lui permettre de passer plus facilement, et suis à mon tour sortie de la salle, en fermant derrière moi la porte vitrée. S'il n'était pas blessé, il saurait bien sortir tout seul. Sinon, il serait toujours temps de le prendre dans mes mains, et de tenter de voir ce qui n'allait pas...
Cinq minutes plus tard, je suis donc revenue dans la pièce. Plus personne derrière le secrétaire : très bien. Je me suis retournée : l'oiseau était là, posé sur la table basse, parfaitement immobile.
C'était une merlette, une jeune, au plumage brun. Tétanisée de frayeur, sans doute, et mes cris n'avaient sûrement rien arrangé... Je me suis adressée à elle le plus doucement que je le pouvais : "Oiseau, tu es libre, tu peux t'envoler maintenant".
La merlette ne bougeait pas, sauf son oeil, qui me dévisageait. Avez-vous déjà été regardé par un oiseau ? Ou plutôt, avez-vous déjà échangé un regard avec un oiseau ? C'est une expérience fascinante, à mon sens, car le lien, si improbable, si indéfini, si peu compréhensible de part et d'autre, existe bel et bien. Nous nous sommes vraiment regardées, la merlette et moi...
Elle restait toujours immobile, et je suis une humaine : j'ai avancé la main, toujours en parlant doucement, et le coeur s'est mis à me battre. Allais-je réussir ? Derrière nous, les trois fenêtres étaient largement ouvertes. L'oiseau allait-il me laisser le toucher ? Le prendre ?
Je voyais, dans la glace qui recouvre la table basse, le reflet compact de la merlette, et l'ombre de ma main qui avançait vers elle...
PFFFRRRTTT...
A la dernière seconde, l'oiseau s'est envolé.
Soupir. La mansuétude n'est pas toujours récompensée...
(Je me suis consolée avec Berlioz : cliquer ici !)
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