Mes textes

100% Clopine

Un monde bâclé

Bien entendu, le pire est qu'on s'y habitue. Non, le terme "habitude" n'est pas le bon : disons que l'usure émousse notre empathie - ma première pensée, après Berlin, n'a pas volé vers les victimes, mais  a été "à qui le tour maintenant ?", tant nous avons finalement accepté que la question ne soit plus "pourquoi ?" mais "où et quand ?".

Après Charlie, je n'avais pas eu de "première pensée" : juste une horreur qui m'avait prise à la gorge, bien enfoncée, et dont j'ai goûté si journellement l'acidité qu'elle est désormais incorporée à la texture de ma vie quotidienne.

L'impression, aussi, d'avoir à transmettre un monde bâclé. Je suis d'une génération utopiste, secouant gaiement les interdits d'antan,  qui était  prête à aller danser sur des décombres de mondes anciens . Et voici tout ce que ma génération a su transmettre : uen planète à la dérive, une fin de civilisation rougeoyante, et toutes les idées que je combattais devenues prépondérantes.

La nature, avec son immoralisme et ses lois fondamentales, ne bâcle pas, elle. Comment, pourquoi l'être humain se sent-il affranchi de ces contraintes-là, qui sont sa vie même ? Eh bien, la nature se fout particulièrement de cette derières  question, et de nos pitoyables tentatives de réponse.

 

Et cette absence d'intérêt est peut-être la seule chose réconfortante à laquelle se raccrocher : au moins, cette indifférence est l'inverse de la damnation (que nous avons pourtant si abondamment méritée).

Darwinette de noël...

Qu'est-ce qui évolue (un peu) dans les dessins animés proposés à la télé pendant la période de Noël ? Les techniques d'animation, bien sûr, toujours plus ébouriffantes, le rythme de l'histoire, car l'explicite cède la place à un implicite qui permet d'aller vite, et... La vision de la femme chez Disney. 

Ben oui, j'ai regardé la Reine des Neiges hier au soir, et j'étais assez contente, même si pas totalement, de quelques avancées darwiniennes dans la description de(s) héroïne(s).

D'abord, et merci qui ?, il semble qu'on ait enfin échappé au ménage obligé comme illustration des vertus féminines. Cendrillon et Blanche-Neige ont cessé d'être à genoux à passer la wassingue, ce qui est ma foi une bonne chose. Anna, elle, commande son  cheval, grimpe dessus et s'en va fièrement à l'aventure  retrouver sa soeur, en laissant la morne intendance du royaume à son fiancé.

Ensuite, les princes charmants ne sont plus ce qu'ils étaient (re-ouf), et surtout les héroïnes ont le droit de se planter, et de ne pas commencer par le bon. Symboliquement, ça en met un sacré coup au mythe de la virginité cette histoire, si le prince charmant du début n'est plus le même que celui de la fin...

Enfin, les princesses ont désormais le droit d'avoir des parcours initiatiques aussi exaltants que leurs frères. Je m'explique : avant, la princesse devait en chier notablement pour y arriver, toujours dans la douleur (se faire battre par des orties la nuit, devoir nettoyer l'auge aux cochons avec une peau de bête, se faire dévorer par le loup, etc.) : fallait que t'en chies un max, quoi.

Ici, la douleur est toujours présente (la reine est infoutue d'avoir uen copine) mais elle est compensée par l'attribution de pouvoirs magiques somptueux. Ahahah. Le destin ne passerait donc plus par l'acceptation de la soumission, mais on pourrait préférer une solitude créatrice, voire, attendez attendez attendez, la jouissance du POUVOIR  ?

 

Bon, évidemment, ce n'est pas aussi simple. Arrivée à peine possession de ses pouvoirs, voici notre reine qui se transforme en une sorte de pétasse sexy qui ondule vers le spectateur, ce qui pourrait être à la limite intéressant  si c'était moins stéréotypé dans le genre représentation de la sexualité féminine, soupir, mais de toute façon, la scène est brutalement interrompue par une porte qui claque en se refermant.

 

y'a encore du boulot...

 

M'enfin je trouve que les petites filles ont quand même à portée de la main uen représentation d'elles-mêmes bien plus riche que celle auquelle ma génération a eu droit. Elles n'attendent plus le Prince qui, un jour viendra. Elles sont, même si elles en chient pour ça, "libérées, délivrées"....

 

(par contre, nous, on en prend pour "la Reine des Neiges" pour quelques années. Avant, c'était "Les Choristes"... c'est quand même dingue, le mauvais goût musical qui semble nécessaire pour les films pour enfants...)

Petite histoire de Noël...

NOEL 197…

 

Michel  C. était  le garçon le plus recherché du lycée. A cela, deux raisons : ses cheveux longs, épais, bouclés, qui  dansaient sur ses épaules au moindre mouvement et  encadraient une tête d’’ange aussi blond que celui de la flagellation du Christ de Fra Angelico, et sa chambre en ville, luxe inouï qui n’était pourtant dû qu’aux exclusions successives des internats de ses  précédents établissements. Il passait en effet son temps à faire tourner la tête des filles : il était charmant. Un jour, il avait embrassé par derrière la prof de maths dans le cou : il l’avait confondue avec  une de ses copines.

Il avait tant de succès qu’il était charmant avec moi aussi, qui n’était pourtant qu’une terne camarade de classe : et ce fut ainsi que cela arriva.

Il s’agissait  de la fête de  Noël  du lycée. Il y tiendrait un rôle de tout premier plan, car il avait été sollicité par la prof de français pour jouer  des scènes d’une pièce de Ionesco, « Rhinocéros » : il était fabuleux, et je l’écoutais avec tant d’attention que, prenant soudain conscience  qu’il me racontait tout cela  à moi, qui n’avait évidemment aucune chance d’être sollicitée pour quoi que ce soit,  il me proposa, sous le coup de la pitié et de l’inspiration, de participer  également au spectacle.

Evidemment, il n’y avait plus de place pour la pièce de théâtre : tous les rôles avaient été distribués. Mais peut-être  pourrais-je intervenir avant, en lever de rideau en quelque sorte ? Voyons, je devais bien avoir un talent caché : n’y avait-il rien que je sache faire, vraiment ?

Si, répondis-je. Je connaissais un poème par cœur.

Un poème ?  Oui, cela pourrait peut-être faire l’affaire, il allait en parler à la prof (qui, visiblement, ne savait rien lui refuser). Et de quel poème s’agissait-il ?

Je pris une profonde inspiration, le regardai droit dans les yeux : « Il n’y a plus rien », de Léo Ferré.

Rien que ça.

Léo Ferré a  dû en effet écrire  le plus  touffu  et surtout  le  plus long poème de sa carrière pour déclarer « qu’il n’y avait plus rien ».  Non seulement  le nombre de mots pour le dire est considérable, mais encore le tout,  sur fond de Rejet Absolu et Défintif de la Société, est panaché d’anathèmes,  de déclarations emphatiques, et d’amères  considérations sur l’Ingratitude Humaine.

Cela correspondait tout-à-fait à la jeune fille de 17 ans que j’étais, bien entendu.

Mais mémoriser ce monstrueux texte était un exploit en soi, et je savais que je pouvais le faire : j’avais le temps nécessaire pour cela, n’est-ce pas, et pouvais y consacrer toutes mes soirées…

Et c’est ainsi que par un soir de décembre de l’année 197…, l’élève la plus mal dans sa peau (car si certaines jeunes filles étaient en fleurs, j’étais plutôt en boutons…) , la plus encombrée d’elle-même, la plus  mal fagotée de tout  l’établissement (je portais un chandail  avachi, dans les tons roux, boutonné sur le devant et aux antipodes des modes « indiennes » de ce temps-là) se présenta debout,  seule  sur scène,  devant tout ce que le lycée comptait de personnes influentes, assises en rangs serrés.

Le proviseur et  les professeurs les plus importants, bien sûr. Mais aussi les représentants des associations de parents d’élèves (comme ma propre mère, qui était la Présidente de l’association catholique et de droite), les grands élèves de Terminale,  qui occupaient les premiers rangs, et enfin  la piétaille lycéenne.

Oh ! Patti Smith peut bien décrire  combien elle a tremblé, devant le  jury suédois du prix Nobel de littérature ! Elle peut bien, la main sur le cœur, raconter comment elle s’est emmêlée dans sa chanson (elle devait,  pour célébrer Bob Dylan le récipiendaire même pas foutu de venir chercher un prix immérité, chanter « It’s a hard rain ») :  « Unaccustomed to such an overwhelming case of nerves, I was unable to continue. I hadn’t forgotten the words that were now a part of me. I was simply unable to draw them out. This strange phenomenon did not diminish or pass but stayed cruelly with me.”

Elle ne m’arrive en réalité pas à la cheville ! Car, arrivée au trois quart du poème (et cela devait faire environ vingt bonnes minutes que j’étais ainsi livrée  aux lions), moi aussi j’ai eu, non un banal  trou de mémoire, mais un « case of nerves », dû à la brusque conscience du silence absolu qui entourait ma voix imprécative : tous m’écoutaient, et c’était à la fois si inattendu et si impressionnant que j’ai flanché, j’ai reculé, et me suis précipitée dans les coulisses.

Où Michel C., déjà grimé pour la  suite du spectacle (et je ne le reconnus pas, car il était affublé d’une fausse barbe), me demanda d’une voix émue si j’avais fini, et, apprenant que non, me prit carrément par la main pour me rapporter,  comme une mère chienne transporte son chiot dans la gueule, sur le devant de la scène.

Le silence avait continué ! Tous attendaient ! J’ai donc fermé les yeux, repris le poème là où je l’avais laissé …

J’ai encore dans l’oreille le tonnerre d’applaudissements qui a accueilli le  dernier vers  : « Nous aurons tout… Dans dix mille ans ! »

Mais moi, n’est-ce pas, je n’ai pas eu besoin d’attendre dix mille ans pour « tout avoir ». Car le soir même, quand la soirée s’acheva, que les chaises furent rangées le long du mur,   les élèves  à l’internat et le proviseur dans  son appartement de fonction, Michel C . m’a raccompagnée à la maison, et là, dans le jardin, sous les froides  étoiles de décembre  qui brillaient moins que l’unique projecteur du lycée,  j'ai reçu un long baiser.

Vanités...

Grands dieux ! Que les pattes du paon sont vilaines !!!

La Fille de la Pochette

Bon. Dylan a tellement plein de pognon qu'il s'en fout d'aller chercher son Nobel, s'asseyant du même coup (car le prix n'est remis qu'en présence du lauréat) sur plus de 800 000 euros. Ou bien il exècre tellement l'usage du monde que les prix, pour lui, c'est comme un morpion pour le vulgum pecus : ça le gratte et il  a décidé de  s'en passer le plus possible. Ou encore il est tellement étonné qu'on puisse lui attribuer, à lui le barde, un nobel de "Littérature", qu'il boude dans son coin.

Vous aurez compris que je ne suis pas vraiment d'accord avec cette attribution, qui ridiculise surtout le jury suédois, à mon sens. M'enfin si le but était de faire le buzz, bon là c'est réussi...

 Mais ce qui m’énerve moi, c’est qu’on ne peut remettre en cause ce Nobel sans être soupçonné d’appartenir aux « détracteurs de Dylan ».

Alors qu’on peut aimer Dylan, pousser « Hard Rain » sous la douche (sic) tant qu’on peut (à parité avec Carmen, autre grand classique de salle de bains, d’autant que l’on peut transformer les couinements que vous arrache le shampooing dans l’oeil en imitation de Julia Migenes), avoir écouté la biographie de François Bon et visionné celle de Scorcese,  connaître précisément la date où Dylan a trahi (passant du folk à l’électrique, comme Higelin abandonnant Areski et Fontaine), et ne PAS apprécier qu’on lui ait refilé un Nobel « de littérature ».

Et c'est quelqu'un  qui a longtemps longtemps longtemps, c’est-à-dire entre  treize ans et demi et quatorze ans et huit mois, rêvé d'être une "Fille de la Pochette"  (celle de « Freewheelin », avec le combi Volkswagen à gauche, toute une époque), qui vous le dit.

The freewheelin bob dylan pochette

 

 

Soupir.

 

 

 

 

 

La rose du papier peint (ma non-rencontre avec Riad Sattouf)

C'est un peu de la faute des enfants : ce sont eux qui m'ont mise au courant. Les enfants, c'est-à-dire le Clopinou et sa nouvelle amie C.,qui habitent ensemble  et se séparent le matin à la gare de Rouen : elle part au Havre, lui à Paris. On pourrait en faire une chanson de Maxime Le Forestier...

C. est une très jeune femme qui m'étonne "tant et plus", et parmi ses caractéristiques, elle a un don de l'écoute étonnant. Je ne suis pas habituée à une telle attention, qui me surprend et me ravit toujours. Du coup, j'ai bien peur de me "lâcher" devant C., qui écoute toujours "tout", avec cet air extrordinairement sérieux et concentré qu'elle prend  et qui n'arrive pas à atténuer sa joliesse (car elle est diablement jolie, parbleu !!!).

C. a retenu que je plaçais très haut Riad Sattouf, donc   zou : nous voici partis tous les trois à l'Armitière, ce lundi où l'auteur venait présenter le dernier tome de son autobiographie.

J'étais ravie, et je me promettais de faire des efforts : car je sais que Clopinou me surveille comme du lait sur le feu, et qu'il craint toujours mes divagations et débordements. Mais pour que je sorte de ma solitude et que j'aille ainsi au-devant de quelqu'un, il faut cependant que j'ai de l'enthousiasme. Oh, je remets parfaitement l'évènement à sa juste valeur, et j'ai appris à ne pas trop attendre de "rencontres" organisées sur fond promotionnel. Impossible de parler vraiment à qui que ce soit :  ce ne sont que des "non-rencontres". J'ai ainsi "non-rencontré"  ni  Michel Onfray, ni  Pierre Assouline. J'en hausse encore les épaules...

Mais ce soir-là, me projetant face au dessinateur (génial) qu'est Riad Sattouf, j'avais encore une autre motivation : je suis tant à la recherche de réponses. Depuis les attentats de Charlie Hebdo et des autres, depuis l'incroyable coloration en brun néofasciste que prend le monde, me voilà comme une girouette cherchant le vent.

Sattouf, grandi en Irak, en Syrie, Sattouf, témoin de l'incroyable évolution paternelle , Sattouf, qui venait de quitter Charlie quand... Mon sac était plus que plein de questions débordantes. Certes, mes questions sont assez tristes, surtout pour un auteur "comique", qui fait, comme ses deux premiers films en témoignent, dans la dérison. J'ai désormais  besoin d'autre chose que de pochades, même si celles-ci, comme des bonbons au poivre, cachent derrière leur bouffonneries quelques vérités bien senties sur la déliquescence générale du genre humain !!!

J'étais assez émue d'être avec les deux jeunes gens - comment ne pas avoir honte de ce que ma génération leur propose ? - mais je tentais, dans la file d'attente qui s'épaississait de minute en minute, de sérier les questions que je voulais poser lors du débat qui clôturerait la conférence...Quelles étaients les plus importantes ? J'en discutais avec les enfants,  dans la queue, au milieu des profs (elles et ils avaient des têtes de profs et des fringues qui sentaient la camif) et les dignes Dames qui patientaient  trouvaient évidemment que je parlais trop fort,  quand soudain je me rendis compte de mon erreur : il ne s'agissait pas d'une conférence, mais d'une séance de dédicaces.

Patatras. Ce fut la Dame qui me précédait dans la queue qui me précisa les choses, en se retournant : "Vous ne pourrez pas poser de questions,voyons... Vous ne savez donc pas comment ça se passe, vous n'avez jamais été dans un salon du Livre, devant un dessinateur ?" Je rougis intérieurement, en pensant à mon unique non-rencontre assoulinienne... "Il va faire un dessin par livre, ", reprit la Dame. "C'est pour ça qu'il y a tant de monde. Sinon, pensez !..."

(suite à... tout de suite)

Lire la suite

VERTU ATHEOLOGIALE

J'éprouve, comme Fontenelle sur son lit de mort (mais je suis encore vivante, hélas...), une telle "difficulté à vivre" en ce moment, que je tente par  tous les moyens de  trouver des ressources. Comme ce ne sont pas mes contemporains qui semblent pouvoir m'en procurer, il faut donc que je descende, que je creuse, que j'exhume de moi-même ce qui pourrait me permettre de retrouver ma belle aisance d'autrefois. Non que j'aie jamais été si  assurée  que cela, mais cependant : mes doutes étaient légers, relevaient de la spéculation intellectuelle, et n'étaient pas entachés de cette culpabilité qui m'étreint aujourd'hui, quand je  pense aux générations futures de l'humanité, et plus spécialement, évidemment, à nos enfants, à Clopin et à moi... 

Aujoud'hui, le poids est si lourd, l'avenir si sombre, et la Terreur si proche : décrire cet  espèce d'étau que je ressens est au-dessus de mes forces. Tout juste puis-je évoquer ce  monde où Trump est aux  manettes là-bas, Poutine en tsar ici, Daech à la Barbarie et  où la banquise fond, pour peindre mes appréhensions.   

Désolée d'être pédante, mais le doute s'enveloppe d'effroi, et le plus simple  serait donc certainement de se voiler la face et de ne rien dire, comme l'Agamemnon  de Timanthe : mais il y a le mot "pèse" dans le concept d'"aposiopèse" (ce qui signifie "ne pas pouvoir décrire l'affliction donc utliser des stratagèmes pour laisser la place à l'imagination..."). 

C'est là où pourrait pointer, oh, juste par le bout de son nez, le regret d'être athée : ni consolation, ni vertu ne s'offrent - a priori - à moi. La foi en un autre monde merveilleux  pourrait être aussi commode que le voile de Timanthe - mais je ne l'ai certes pas à ma disposition.

Quant à la vertu... Le christianisme a eu beau jeu de reprendre les quatre vertus platoniciennes,  "cardinales", (c'est-à-dire qui demandent des efforts personnels) et d'y ajouter,  parmi les trois vertus "théologiales" (c'est-à-dire tombant tout droit de dieu, boum gare là-dessous, rien à faire, pas à se biler, tu l'as ou tu l'as pas, c'est pas ta faute à toi, Lolita), l'espérance...

Qu'est-ce que je peux bien faire, aujourd'hui, de ce mot d'"espérance" ? Que peut-on "espérer" "de bon ? Que Juppé devance Le Pen, l'an prochain ? On n'a vraiment plus que ça, comme perspective ?  A part hausser les épaules, l'athée que je suis ne voit pas trop en quoi espérer...

Mais pourtant, je sursaute. Je ne vais pas me mettre à laisser l'espérance, à côté de la compassion, de l'hymne national et de la figure historique de Jeanne d'Arc, dans les seules mains des croyants, c'est-à-dire de ceux qui m'inspirent une vague pitié, quand ils sont sincères, et une vraie répulsion, quand animés de leurs croyances débiles, ils entendent régir le monde...

Il faudrait inventer des vertus "athéologiales", et placer l'espérance au premier rang d'entre elles. Seule l'espérance poosède  la fermeté de l'aiguillon, pour continuer d'avancer...

(mais en suis-je encore capable ?)

 

 

 

 

Ne plus sauver Ovide, mais partager la cambrure aux reins...

C'est peu de dire que l'élection de Trump m'inquiète. Elle m'attaque aussi totalement que la feuille de chou est mangée par les chenilles de la piéride : de tous les côtés à la fois...

 

Aa2 8694

 

Et me voici effrayée à l'idée de me racornir, de me réfugier dans la solitude et la plainte : du coup, je divague, pense à ceci, cela,  à   Sisyphe sans l'imaginer heureux, Pas plus qu'Ovide, d'ailleurs, finissant si tristement sa vie... 

Et du coup, je me souviens des "tristes pontiques" , la traduction de Darrieussecq d'Ovide. Et voilà : c'est de la fin de la préface du livre que survient l'espoir, ou, au  moins, (et du coup, j'ajoute un peu de moi à la si belle langue de Darrieussecq) une sorte de consolation...

"Qu’un homme triste et désespéré  ait écrit sur une plage perdue, il y a deux mille ans : ce geste me concerne, ce texte me demande quelque chose. Quoi exactement, je ne sais pas. Je ne peux plus sauver Ovide, et il ne saura pas que je le lis. Le lire, pourtant, c’est participer à quelque chose qui, malgré tout, ne disparaît pas. Un monde commun. Une humanité, un espoir atemporel, une gravité. Partager la cambrure aux reins, la parole, la pensée. Quelque chose qui fait que nous sommes debout sur la Terre, à tourner dans le vide, sous des étoiles qui restent inconnues."

 

 

 

Qu

L'amer hic...

Il y a ceux qui voient dans cette victoire de Trump une "leçon" donnée par le peuple aux "élites", et qui se réjouissent d'avance d'un "changement"  radical, avec le pouvoir donné à ceux qui ne l'ont pas...

Mais Trump, c'est juste l'opposé. C'est celui qui, s'arrogeant une légitimité provenant de la brutalité, de la violence, de la xénophobie et du repli sur soi, va en profiter pour écraser tout ce qui ne correspond pas à une vision du monde basée sur l'arrogance (l'homme blanc serait supérieur) et la peur (de l'autre). Or, le peuple est en majorité non-blanc, et est constitué en majorité de ces "autres" qui sont si différents... C'est donc  la négation du peuple. Trump est ce que le peuple devrait redouter le plus, parce que justement il prétend lui ressembler.

Comment affronter le regard si clair de mon fiston de 22 ans, en sachant le monde dans lequel il va devoir (sur)vivre ?

...

Faudra-t-il qu'il affronte de (trop longues) années de chaos, avant que les valeurs fondamentales, les seules qui puissent légitimer l'espèce humaine, les valeurs humanistes et universelles, ne refassent surface ? Avant que les extrêmistes de tout poil, ici Daech, là Poutine et son rêve de Russie impériale, et plus loin Trump et ses barrissements hystériques de tribun dicatorial, soient ensevelis dans le linceul de leurs haines et de leurs violences ? 

 

Il faudra oublier l'amertume de voir ma génération aboutir à ce si pitoyable résultat. Il faudra avoir le courage de l'espérance. Il faudra combattre tous les Trump et tous les Le Pen, en se persuadant que nos armes émoussées -la démocratie, la fraternité, la justice, le soin de l'autre, la préservation de notre planète- auront finalement raison de tous les batelages racoleurs des néofascistes.

C'est pas gagné. Mais l'effroi doit être maîtrisé, et la plus grande rigueur doit être apportée à la lutte, ici et maintenant : combattons les idées du F Haine, exigeons de nouvelles formes de représentativité démocratique, expliquons en quoi le communautarisme est le plus grand danger de la démocratie, et pensons à ce monde si vulnérable, qui est pourtant notre seul bien commun.

 

 

 

 

Pas pied (identité ?)

Je ne l'ai exprimé qu'à ma grande soeur, mais mon agacement n'est pas loin d'être universel. Pourtant, ce n'est pas "mon genre" de fustiger pour  un motif qui, finalement, est léger... Mais justement : c'est un  peu de "genre"qu'il s'agit.

Sans doute est-il très humain de "se venger", d'autant plus s'il s'agit plus d'une simple moquerie, d'un petit pied de nez, qu'une réelle volonté de blesser l'autre. Mais cependant, le peu de subtilité de ceux qui m'infligent, soit sans le savoir,  soit en le sachant, la petite piqûre de rappel concernant mon nom, (c'est-à-dire, en fait, mon identité) me saute aux yeux à chaque fois.

Car oui, c'est vrai, je suis mariée, devant Monsieur le Maire et deux témoins, et j'ai signé "le parchemin" honni par Brassens. Ce qui a dû prendre, allocution du Maire comprise, environ dix minutes. 

Quand on m'en parle, je réplique généralement que certes, je suis mariée, mais si peu, qu'on ne saurait en faire état sans se tromper sur mon compte...

J'ai hélas l'impression que personne ne me croie. Ni celles (elles sont plus nombreuses qu'on ne croit) pour qui le mariage a été un aboutissement ou un commencement. Ni celles qui n'ont pas trahi leur célibat.

IL aurait fallu que j'aie la certitude de vivre dans une société affranchie de tout son poids de patriarcat, de tout son machisme, de toute idée de bien à transmettre, pour éviter la question. Or, la société dans laquelle je vis ne correspond en rien à mes idéaux. La réalité étant têtue, c'est  sur le conseil du notaire que nous sommes, Clopin et moi "passés à l'acte", juridiquement parlant. Brassens, lui, n'avait pas d'enfant  (et encore moins de deux lits différents !)

Mais je ne me sens pas mariée. La lecture du "deuxième sexe" a été déterminante pour moi  : fonder une vie commune sur un serment, c'est surtout "rentrer dans le rang", ne plus poser problème, ne plus être 'autre", ne plus être "soi".

Mon opinion sur le mariage n'a donc pas changé, et pourtant : malgré mon sursaut, on me parle de "mon mari", on semble même m'en féliciter...

Pourtant, je peux agiter mes mains devant mes interlocuteurs : ils n'y verront aucune bague. Je peux leur montrer mon courrier : on m'y appelle du seul nom que je me connaisse, certes celui de mon père, mais pas celui de mon compagnon. J'ai dû, à deux reprises, envoyer un courrier à l'administration fiscale, qui s'obstinait, ben tiens, à m'appeler du nom de Clopin... J'ai obtenu gain de cause. Mes bulletins de salaire en font autant, ainsi que la sécurité sociale.

Pas de photo au  mur, pour commémorer "l'évènement". Nous aurions voulu, Clopin et moi, ne le dire à personne - mais dès le lendemain, un "bon copain" du Clopinou a été lui raconter. L'enfant fut, à l'époque, fort mécontent d'avoir été tenu dans l'ignorance : c'est qu'il devenait, l'horrible mot, "légitime"...

Je trouve que ceux qui m'apprécient devraient tenir compte de ces signes, ou plutôt de cette absence de signes, qui entourent mon statut légal. Et parler de "mon compagnon" plutôt que "mon mari"...

Quant aux autres, l'espèce de sourire narquois qu'ils arborent en parlant de mon "mariage" (décidément, je ne m'y fais pas !)  est le signe de la connivence qu'ils entretiennent, autour de ce sujet là comme de tant d'autres... la bonne conscience de ceux qui veulent que vous leur ressembiez...

 

Je devrais prendre cela comme un exercice de mortification salutaire : tu te crois différente ? Je te rappelle gentiment que, malgré tes grands airs, la gourmette  sociale qui pèse à ton poignet n'est pas un bijou, mais une menotte, même si elle te protège...

Madame.

 

Pourquoi j'aime Eric Chevillard...

... A cause, évidemment, de phrases comme celle-ci (qui pourrait servir de citation à la feuille de l'A.R.B.R.E., par exemple !) :

 

"Installons-nous devant sa trompe, mes sœurs, rien ne tient plus chaud que l’haleine du tamanoir endormi, dit la fourmi pronucléaire."
 

ô tempora, ô mores...

Je crois que cela fait quelques siècles que chacun se plaint de son époque. Mais j'ai cependant l'impression (partagée visiblement par les membres de ma famille...) que tous nous souffrons d'un mal endémique à notre temps où, soi-disant, la "communication" est libre, facile, aisée d'un bout à l'autre de la planète, prépondérante et à la portée de tous...

Allez j' illustre.

C'est un sujet qui intéresse, à mon sens, tous les candidats qui sont comme moi à la veille (ou presque, disons que cela se compte désormais en mois...) de la retraite. A combien se montera la pension mensuelle ? Toutes ces années, passées à l'intérieur des murs, à louper le printemps et mal vivre l'automne, combien vont-elles me "rapporter", finalement ?

Intéressante question, à laquelle j'ai eu un début de réponse grâce aux calculs et estimations envoyées par courrier...

Oui, mais voilà. Si je veux partir non à la date  prévue, mais en prolongeant de quelques mois, histoire de mettre un peu de beurre dans mes épinards (et autres légumes clopiniens...), ça va se chiffrer à combien ?

Bref, j'étais en demande d'une simulation, une vraie, hein, pas du genre de celles que certaines filles avisées pratiquent couramment dans leurs rapports avec l'autre sexe...

Pas de problème, me direz-vous. Il y a des gens qui sont là pour ça, dans ce très estimable établissement qui se nomme la "CARSAT" et qui est chargé des relations entre le futur retraité, celui qui a vu partir, mois après mois, les sous gagnés à la sueur de son front, et sa (ses) caisse(s) de retraite.

C'est bien entendu là que le bât commence à blesser, et j'invite tout de suite les âmes sensibles à stopper net la lecture de ce compte rendu - rigoureusement authentique, mais si navrant, au fond, qu'on en viendrait presque à envier les anglais brexités et réfractaires aux droits sociaux, c'est dire...

DONC, j'ai téléphoné à la CARSAT, un beau matin tireli tirelo, et un petit peu sur mon temps de travail, je l'avoue...

Je suis bien évidemment tombée sur une saloperie de répondeur, qui énumérait les choix possibles, aucun d'entre eux ne répondant à ma demande de simultation, et qui m'invitait fortement à aller consulter le site internet de la CARSAT.

Ce que je fis tout aussitôt, sacrifiant sans regret ma pause de midi.

Oh qu'il est beau, le site de la CARSAT. On vous y invite à vous inscrire pour avoir un "identifiant", on vous propose des tas d'informations, et on va même jusqu'à mettre, à droite de la page d'accueil, un encart intitulé "prendre rendez-vous avec un conseiller".

Ca me plaisait bien.

Je me voyais déjà arriver dans un bureau, avec mon dossier sous le bras, m'asseoir devant un(e) fonctionnaire ou assimilé(e) (maintenant, quand on va dans un bureau, la probabilité de parler à une stagiaire prétendant à un CDD de six mois et quatre jours a fortement augmenté...), et apprendre le montant  prévisionnel  de ma pension, si je partais le 1er août 2018, ou le 1er octobre...

J'ai donc cliqué.

On m'a alors demandé de remplir un questionnaire attestant de mon identité, de mon domicile, du motif de ma demande de rendez-vous, etc. J'ai rempli, l'âme sereine et l'estomac vide (ben oui, c'était, je vous le rappelle, la pause du midi...) tous les renseignements demandés.

je suis donc passée à l'écran suivant, qui vérifiait les renseignements fournis à la page précédente. Quelle conscience professionnelle, me disais-je in petto, remplissant ligne après ligne et consciencieusement tout ce que  l'on me demandait...

 

Et je suis passée à l'étape suivante, la trois, qui s'intitulait "Chosir votre lieu de rendez-vous".

Là, il n'y avait rien.

sauf un choix "autre lieu de rendez-vous", qui semblait déplacé, puisque je n'avais encore rien choisi...

J'ai quand même cliqué dessus, puisqu'il n'y avait rien d'autre. Que ceux qui n'auraient pas fait comme moi lèvent le doigt !

On m'a répondu qu'il n'y avait pas d'autre lieu de rendez-vous...

Au bout d'un moment, j'ai laissé tomber et suis allée me rassasier, mais enfin j'étais mécontente, car si mon estomac était calmé, ma légitime curiosité sur ce qui allait m'arriver, elle, ne l'était pas.

Alors j'ai poireauté un peu et, à une heure décente, soit 14 heures, j'ai rappelé au téléphone la CARSAT.

Je suis évidemment tombée sur le même répondeur que le matin, avec aucun des choix ne me convenant. Or, prise d'une subite inspiration, j'ai décidé de patienter au bout du fil après l'annonce enregistrée qui me conseillait, après tous les autres choix et pour la modique somme de 0,75 euros la minute, de retourner sur le site internet.

C'est un tuyau que je vous donne confidentiellement : accrochez-vous quelques minutes après les annonces enregistrées, et, ô joie, vous entendrez une voix humaine en direct.

un vrai être humain, constitué comme vous et moi !

et qui vous répond avec un vraie voix...

Pour vous annoncer, un peu gênée, que la CARSAT ne donnne pas de rendez-vous avec un conseiller.

Comment ça ?

Béh non.

Mais encore ?

Non, vous dis-je.

Mais pourquoi, alors, le site, et l'encart, et les renseignements, et les étapes, et les beaux écrans ?

Ah, ça ?

....

Ca, c'est parce que le site est national, et que les agences CARSAT sont régionales. Et l'agence régionale ne donne pas de rendez-vous avec un conseiller...

J'ai senti ma digestion se bloquer d'un coup. Ce n'était pas que j'étais contrariée. C'est juste que je trouvais que la CARSAT était une belle enfoirée, que je sentais que la personne qui me répondait foireusement n'allait certes pas partager mon indignation (surtout qu'on risquait, d'après le répondeur, d'être enregistrées...) et qu'éberluée, j'apprenais qu'il me faudrait faire les simulations moi-même, ou bien attendre les bulletins envoyés de façon systématique mais tous les cinq ans (c'est-à-dire en 2021 pour un départ prévu en 2017-2018 !!!), ou bien lui donner les éléments là maintenant mais de toute façon je ne saurais que le montant correspondant à ce que j'avais fait dans le privé... Pour le public, c'était ailleurs (mais pourtant, j'avais bien reçu par la poste un récapitulatif complet, privé + public, non ?)

A l'heure où je vous écris, je ne sais toujours pas le montant estimatif de ma pension de retraire, s'il me venait à l'idée de partir le 1er août 2018...

Mais je continue à payer tous les mois, bien entendu.

Soupir.

 

 

déshérence...

Je me rends bien compte que ce blog est en déshérence, et qu'il devient aussi désert que l'Atacama. C'est que je suis confrontée au même problème déontologique que tous ceux qui utilisent cette drôle d'arme à double tranchant que constitue le net : à savoir, la déontologie...

Oh, certes, tant qu'il s'agit de vous et de vos petites histoires, c'est une  préoccupation  du même type que celle qui se joue, tous les jours, avec  votre miroir  : suivant  le souci de l'apparence que vous risquez de  donner de vous-même, (et, en ce qui concerne le net, il s'agit tout de suite d'être sous le regard  d'un nombre important de personnes, pour la plupart de parfaits inconnus et qui le resteront...), vous recourrez plus ou moins lourdement aux artifices du maquillage. Perso, j'ai résolu le problème en tournant carrément le dos au miroir - ce qui ne m'empêchera pas d'être en butte aux accusations spontanées et bienveillantes d'egocentrisme, d'exhibitionnisme, etc.

Tant qu'il s'agit de vous, tout va bien cependant, malgré l'implacable cruauté du web. Mais quand il s'agit des autres...

Le silence ne peut que s'installer peu à peu, car la sincérité atteint ici ses limites. Bien entendu, il ne s'agit de "rien de grave" : mes proches, mes potes, toux ceux que je croise ici ou là, sont tout comme moi installés dans une "normalité" qui exclut le registre de la révélation infâmante. Mais cependant, si l'on ne vit pas chez Disney, et si l'on veut que l'écriture "rende compte" de quelque chose, alors  il faudrait, inévitablement,  parler des tensions, des conflits, des appréciations et des "ressentis du vécu".

Et, de la même manière que mes lèvres sont prudemment scellées sur la partie professionnelle de ma vie, comment pourrais-je mettre en cause le moindre, même le plus légèrement du monde, l'un de mes proches ? je sais trop que la plus petite réticence n'est pas acceptée, que l'opinion négative est ressentie comme une gifle...

Et comment se contenter de dépeindre le rose bonbon de ma vie ? Peut-on seulement imaginer une palette de peintre, sans les gris, les noirs, les lignes du tourment, de l'effroi ou de la déception ?

Et comment se contenter de limiter ma vie à ma seule personne, alors que ce sont bien mes proches, ou mes lointains même, qui me constituent, tout autant que mes lectures, mes rêves, mon passé, mes regrets ou mes envies ?

J'aurais pu raconter sur mon blog des accidents et des ruptures, des soirées et des invitations, des conversations et des confidences,  bref, ce que j'ai vécu avec le parfum de  la Vie des Autres. Des soirées passées à chanter et des réunions familiales. Des nourritures terrestres et des dépenses imprévues, venant grever mon budget. J'aurais pu vous raconter mon dentiste et la fête Brévière, les balades et les soirées d'été,   les attentes déçues, les cris et les reproches, les frustrations et les victoires...

Mais je ne m'en sens vraiment pas le droit. La vie, ma vie, devient trop courte et trop grave pour que je me risque à blesser qui que ce soit, ni à "révéler" quoi que ce soit...

C'est la limite du blog, et je l'ai atteinte.

Alors, quoi ?

Ceci, peut-être :

L'écoute, sur la cinq hier au soir, d'Onfray jugeant Mélenchon. J'aurais pu, avant même qu'Onfray s'exprime, parier sur ce qu'il allait dire : reprocher à Mélenchon son "jacobinisme" - cependant, entendre Onfray déclarer benoîtement "je suis un Girondin" m'a fait le même effet que, jadis, ces communistes repentis qui tentaient néanmoins de se justifier en se déclarant "léniniste, pas staliniste". Ou même "marxiste, mais pas communiste"...

Onfray a beau jeu de se déclarer Girondin, puisque la Gironde n'a jamais exercé le pouvoir dans la durée. Certes, leurs idées étaient sans doute plus généreuses, plus intelligentes, moins destructrices que celles de Robespierre - qui ont débouché sur la Terreur... Mais que seraient-elles devenues ? On sait aujourd'hui que les pogroms, le goulag et autres réjouissantes perspectives se profilaient toutes entières dans le programme de Lénine (qui, simplement, n'avait pas prévu que ce serait le camarade Staline qui allait utiliser toutes ces armes... A son profit...). Que, dans Marx, à côté de la lucidité et de l'intelligence qui présidaient à son décorticage des forces en oeuvre dans l'histoire humaine, il y a en germe l'idée de la nécessité de la domination... Alors, la Gironde, toute belle qu'elle soit...

Mais c'est le tour de passe-passe d'Onfray. Il y a quelques années, c'était Nietzsche qui lui servait ainsi d'auto-justificatif. Onfray est passé du domaine des idées à celui de l'histoire, mais, même si je crois qu'il est plus sincère que ce qu'on dit de lui, c'est nénmoins un boni-menteur !

Autre chose :

J'étais ce samedi à Flamanville, à une manifestation anti-nucléraire. Pluie de grêle à terrifier l'australopithèque lambda, (qui du coup aurait inventé la religion et se serait instantanément mis à genoux), pile poil au moment où la manif s'ébranlait. Mais le zef (et le vent, en Cotentin, est particulièrement efficace) a séché nos vêtements, et au final j'ai passé une excellent journée, avec ce contentement du devoir accompli qui anime l'âme militante...

Flamanville 1

 

Pendant la marche, je me souvenais de toutes les manifestations anti-nucléraires auxquelles, depuis 40 ans, j'ai participé...

 

Flamanville 3

 

En fait, je suis arrivée à l'écologie par des chemins différents de ceux de Clopin. Ce dernier a été tout de suite sensible aux argumentaires écolos, à la candidature de Dumont et à la mouvance issue du Larzac, de Lanza del Vasto en passant par Pierre Rabhi.

Moi, j'ai été antinucléaire parce que libertaire. Et libertaire parce qu'ayant reçu, cooptée par des profs trostkystes de mon lycée, des cours d'éducation politique  - histoire de la révolution française certes mais aussi la révolution russe, les différentes pensées du 19è siècle, les mouvements ouvriers, l'histoire du syndicalisme et les répressions sociales, Rosa Luxembourg et Proudhon... Avec l'intransigeance des très jeunes gens, seul le jusqu'auboutisme anarchiste me semblait représenter l'espoir et la suele pensée intelligente  à appliquer. Autogestion et fédéralisme, féminisme et révolution, quoi ... Et du coup, la société nucléaire, fortement étatisée, se dressant sur le silence et la nécessité d'un ordre policé, me paraissait le signe même de cet hexagone exécré...

Je me surprends aujourd'hui à apprécier de payer des impôts, à considérer que la tutelle de l'Etat est la seule garante des droits fondamentaux et la seule  capable de protéger l'lintérêt général des intérêts particuliers, bref, je ferais frémir d'horreur la libertaire que j'étais... Mais quand j'entends les profondes désillusions du Clopinou (qui comprend peu à peu les rouages, notamment économiques, du monde moderne et qui en ressort accablé, malgré ses 20 ans...) je préfère encore avoir eu le panache de rêver d'un monde autre à 20 ans, plutôt que d'avoir tout compris tout de suite...

Voilà ce que je peux encore écrire sur ce blog. Et puis  vous parler de nos animaux, bien sûr : eux, jamais, ne m'en voudront d'une parole maladroite. Ils sont trop bien pour ça...

 

 

allez hop ! En selle !

Ma lamentable incapacité à produire le plus petit et le plus mal foutu des haïku, le plus humble et timide soit-il, démontrée amplement par un échec oulipien dont il faut que je me relève,  ne révèle pas seulement un orgueil mal placé : c'est devenu une sorte de combat entre mon inconscient et moi.

Car mon insconscient est anti-nippon, je dois bien le constater  : ce petit salopard a dressé, entre le Japon et moi, une sorte de barrage contre le pacifisme, aurait dit Duras. En vrai, ce que je reproche au Japon, c'est d'être japonais, et ce n'est pas ma récente défaite qui va éclaircir le pourquoi du comment...

 

J'ai donc décidé de contrattaquer, et pour  pousser à la tâche la couenne de mon  surmoi, je déclare officiellement que j'officierai ici même, dès demain, dans le genre poétique.

Poétique français, évidemment, je ne suis pas masochiste à ce point

 

Mais poétique tout de même.

 

le challenge, ce serait  donc de caser des cerisiers en fleurs...

Mais je sens que je vais m'autoriser les pommiers, tiens, d'abord...

 

à demain, nom de dlà, je remonte en selle et taïaut !

 

Crevée...

Ca n'a l'air de rien, une ligne de flottaison, m'enfin : il y faut de la rame, quelquefois !

 

Crevee

Je dis ça, je dis rien....

Bon, ben j'en ai ras l'bol d'entendre comparer les jihadistes suicidaires qui viennent jusque dans nos bras (recouverts d'ambre solaire indice 50) égorger nos fils et nos compagnes, de "fous" ou de "nazis islamistes". 

Ils ne sont pas fous : cf. l'excellent article dans Charlie Hebdo de cette semaine, qui revient sur la définition exacte de l'acte criminel exécuté par soumission à l'autorité... Il y a une logique dans Daech, faudrait peut-être arriver à l'admettre...

Et quant au qualificatif de "nazis", qui certes déniaient l'humanité à leurs cibles (ce qui est bien commode quand il s'agit de génocider à tour de bras), mais qui ne se mettaient pas eux-même directement en cause, je trouve qu'il est impropre : je préfèrerais  comparer les jihadistes aux kamikazes japonais de la seconde guerre mondiale.

 

Vous me direz que le kamikaze avait plutôt tendance à faire péter la gueule aux marins d'un porte-avions, aux soldats d'un camp militaire, bref, à des personnes militarisées plutôt qu'à n'importe quel pékin occidental (je dis "pékin" pour faire ressortir le côté nippon du kamikaze, bien entendu).

 

Certes, mais Hiro-Hito "en avait sous la pédale", question identité nationale, valorisation des valeurs guerrières, arsenal militaire, base terrestre solide, empire dûment constaté, croyances divines et obéissance aveugle. Daech n'en est encore qu'à ses débuts, alors il fait un peu dans l'amateur, encore. Mais vous verrez qu'après quinze ans de "vrai" état islamique, le "vrai" jihadiste sera certes récompensé d'avoir égorgé un cureton, une rédaction de journalistes, des passants qui passent, des voyageurs déjà pris en otage par les grévistes dans une gare ou des amateurs de (mauvaise, m'enfin bon) musique mais on chipotera "oui, c'est bien, m'enfin, peut mieux faire"  : se faire péter la gueule en faisant exploser une centrale nucléaire, par exemple,  voilà ce qui se rapprochera le plus  le jihadiste contemporain du bon vieux kamikaze...

 

Une fois  avoir pensé à tout ça je m'en suis allée  faire un tour sur wikipédia, histoire de me renseigner. 17 000... Il y avait 17 000 bonshommes qui étaient engagés, dans l'armée japonaise, dans des unités kamikazes, c'est-à-dire ayant accepté l'idée du suicide, pendant la dernière guerre mondiale

 

Sur ces 17 000, 5 000 ont été "vraiment" kamikazes, c'est-à-dire, avec plus ou moins de réussite, se sont vraiment suicidés en causant la mort de l'ennemi.

 

5 000.

Si on se dit, que, grosso modo, daech arrivera un jour  à recruter via le pôle emploi de là-bas la même proportion de gars, et que seule  une petite vingtaine  d'entre eux sont venus s'égailler ici dans le but volontaire de se buter (certes, ils sont arrivés à faire annuler la braderie de Lille, ce porte-avions de la civilisation occidentale, m'enfin on peut toujours faire mieux les gars, il reste du boulot, allez, hop, hop, hop), ça nous en laisserait 4 480 à se coltiner...

 

je dis ça, je dis rien.

 

 

l'appel à tartes : 8 et fin.

L’appel à tartes (8) : pratiquer le jeté d’éponge.

 

Avec son accent anglais prononcé qui augmentait encore la bonhomie du personnage,  M. Monk (non ! Je ne parlerai pas à sa tête ni à aucune autre partie de son corps, même à la récré !)  nous donna ses consignes oulipiennes, d’une simplicité enfantine.

Il s’agissait d’écrire un Haïku, au beau milieu d’une page. On allait commencer par ça, et on verrait après.

Tout le monde connaissait-il les haïkus ? Oui, n’est-ce pas ? C’était court, japonais, ça mélangeait les plans du rapport au monde, et il suffisait surtout  de respecter le fameux  rythme des trois vers :

5

7

5

Mais ce ne serait pas très grave, même  si ça dérapait un peu, parce que le but du jeu allait être, in fine, de mélanger les haïkus produits les uns après les autres, façon shaker, pour goûter la saveur collective et légèrement exotique qui allait en sortir.

Le soupir de contentement qui s’échappa des diverses poitrines, de divers formats,  situées autour de moi fut unanime, ainsi que la détente provoquée par l’accessibilité de l’animateur, parlant à toutes, demandant les prénoms, et prodiguant conseils et encouragements…

 

Et toutes se mirent avec ardeur au travail, se permettant même quelques plaisanteries… Des journées pareilles, clôturées comme le voulait la tradition, en début de soirée,  par un apéro-spectacle (nos animateurs se mettant scène deux par deux voire tous à la fois, comme le  jeudi soir, pour des séances hilarantes façon « papous dans la tête »),  réalisaient enfin les promesses du menu qui m’avait amenée jusqu’ici,  m’asseoir à cette table.

 

Sauf que j’en sortis, sans rire, les larmes aux yeux.

 

Oh, pour une fois, ce n’était pas le froid glacial de l'animateur, ni  un « bon conseil » donné par une personne à qui je n’en demandais pas, ni même une phrase de rejet, ni même un haussement d’épaules qui m’empêchait de partager la liesse collective.

 

C’était le haïku.

 

Moi qui, par plaisir, griffonne parfois sonnets et madrigaux, et qui peut produire des alexandrins comme une poule de Gournay pond des œufs (elles sont réputées pour ça), j’ai un sérieux, mais alors, un  sérieux, hein, vraiment très sérieux problème avec les haïkus.

 

Et pourtant ! La « musique de l’impair » verlainienne m’est familière… Et mon surnom l’indique : mes quelques problèmes pédestres, sur cette terre, me permettent, surtout dans les escaliers, de claudiquer à tous les rythmes imaginables.

 

On aurait pu donc croire que, pour écrire un « simple » haïku, il me suffirait de monter ou descendre, en imagination, un escalier tournoyant sur lui-même : cinq marches, une pause, sept marches, une pause, cinq marches, le palier.

 

Eh bien cela m’était tout simplement impossible.

Sans rire.

Pendant que mes camarades, impatientées, me regardaient biffer des feuilles entières de débuts de phrases, et prenaient très certainement mes difficultés  (qui retardaient, une fois de plus, « tout le monde » ) pour une nouvelle démonstration de singularité voulue, vaniteuse et imbécile, pendant que l’animateur me soufflait qu’il me suffisait de prendre des mots, sans trop me soucier ni du sens ni de l’effet, qu’il fallait que j’oublie tout ce que pouvait comporter, comme sens plus ou moins sublimés, le concept même du haïku, bref, que je n’avais qu’à faire n’importe quoi et que ça irait très bien comme ça, je soufflais comme une baleine, croisais et décroisais les doigts, tambourinais sur la table pour compter mes pieds, et finissais par tout raturer.

 

J’en appelai à la Fontaine, que je tiens pour le maître absolu de l’aisance rythmique  :

 

« La Cigale, ayant chanté » ( youpi !!! 7, indiscutablement !!!)

« tout l’été » (noooon… 3, seulement 3 !!! )

 

Je pensais simultanément à quatre, six, huit  phrases à la fois,  je tentai de me dépêcher, mais le verdict tomba  aussi verticalement que la lame du bon docteur Guillotin sur les vers d’André Chénier.

 

Je n’étais capable que d’écrire des bouts de phrases de quatre, six, huit pieds, ou autre, mais aucun de cinq, ni encore  moins de sept.

 

 Point final (3). Impossibilité absolue (9). J’ai envie de vomir (6).

 

« On « me conseilla (toujours sans que j’eus sollicité quoique ce soit), de faire des alexandrins et d’en prélever des bouts : mais j’étais devenue trop paniquée pour ça, et retournais à mon pitoyable résultat :

 

« Trop difficile (5, et encore, avec l’indulgence du jury,  si on veut bien quoi)

Je n’aime pas le Japon

Ni non plus souffrir »

 

Il fallut bien s’en contenter, et je passais le reste  de la matinée à faire semblant de participer, tout en me  demandant  ce qui avait bien pu m’arriver.

 

Certes, je ne suis pas foutue de manier des baguettes pour manger mes nouilles yakisoba  à la sauce au gingembre, je ne raffole pas non plus des sushis, ni  d’ailleurs de la civilisation japonaise, en gros, et en particulier sa constante  propension à construire des centrales nucléaires sur des zones sismiques. Je reste si froide devant un jardin zen que j’en viens à réclamer une petite laine, n’ai vraiment aimé, du mont Fuji, que la scène de « lost in translation » où il est transformé en trou de golf, et je n’ai aucun goût pour les films de Takahata ou Yamazaki,  sans compter mon impatience devant les moindres mangas, qui me font le même effet que les poupées de porcelaine aux yeux vides asseyant leurs rubans au-dessus des téléviseurs d’antan.

Mais de là à être infoutue d’aligner cinq mots, puis sept, puis cinq…

 

A la pause déjeuner, je croisai devant le marchand de sandwichs notre animateur Ian Monk, à qui je tentai  de décrire  l’effet terrible et destructeur  que mon impuissance à écrire le moindre haïku  causait à mon ego. Il eut envie de me tapoter sur l’épaule, je le vis bien, fut plein de gentillesse à mon égard,  et me conseilla simplement  de « ne pas trop intellectualiser tout ça ».

 

On voyait bien qu’il ne faisait pas partie du groupe d’Hervé Le Tellier, tiens…

 

 

 Je me suis résignée  et ai  terminé comme j’ai pu, une semaine aussi décevante qu’inutile. Aussitôt le dernier texte écrit pour le « roman collectif » (je ne voulais quand même  pas partir en laissant le travail collectif « en plan »), je me suis levée et suis partie, sans vouloir « profiter » du repas du soir et de la grande soirée de restitution des chefs d’œuvre de la semaine, que toutes attendaient pourtant avidement… La seule question  qu’on posa, à ma sortie, ne fut pas pour s’inquiéter de mon départ ou de ses motifs, ni même pour me souhaiter un bon retour, mais fut : « mais qui donc allait lire mon texte (de cinq lignes…) le soir ? ». 

 

C’était leur seul souci… Je répondis « n’importe qui fera l’affaire », et sortis donc  sans dire « au revoir »… Il est vrai, dieu me pardonne, que personne ne m’avait dit « bonjour ».

 

Voici ma triste histoire finie. Pas tout-à-fait, cependant.  Mon mail figure dans la liste d’adresses du « groupe », j’ai donc (pour combien de temps ?) accès aux échanges post-formation… J’ai donc appris par ce biais, sans que quiconque m’en avertisse autrement que par omission, que le groupe avait décidé de n’utiliser aucun de mes textes pondus pendant la semaine.

 

 

C’est un nouveau jeu oulipien, supposé-je : le lipogramme en correction,  bienveillance et chaleur humaine…

 

FIN

 

PS :

 

Hervé Le Tellier a aussi présenté, le soir de son « show », un numéro basé sur les homonymies d »André Breton » : le « mur » de l’appartement du poète rapproché des « murs » sur facebook, où des inconnus postent leurs photos de vacances. C’était plutôt féroce pour le poète, mais surtout très cruel pour les malheureux « André Breton » qui étaient ainsi ridiculisés : je n’ai même pas souri. Par contre, affublé d’un égouttoir à nouilles et d’un tuyau d’aspirateur sur la tête, le même Le Tellier a tenu sa place dans une parodie hilarante, façon Monthy Python, qui célébrait les morts conjointes de Shakespeare et Cervantès, où le loufoque le disputait à la drôlerie. J'aurais donc goûté au moins cela, mais ma voisine m’apprit, d'une petite voix savourant sa satisfaction "d'en être",  que l’auteur de la pochade, Olivier Salon, était avec Le Tellier considéré comme le « must du must », la "crème",  du club très fermé des oulipiens, « loin devant les autres ».

 

Bon sang.

 

Même entre eux, c’était donc la compèt ? Peut-être était-ce pour cela que je n’avais pas trouvé ma place, et sans doute vraiment "dérangé le monde ": je n’aime pas non plus les compétitions : comme une tendance à jeter l'éponge...

L'appel à Tartes (7) : l"X" dans les équations oulipiennes...

Le récit vengeur que j'ai commis ici, fraîchement revenue, visait bien entendu à me réparer. Je vais le finir, mais  j'en demande d'avance pardon  (sait-on jamais !).

 Car je ne voudrais pas que quelqu'une que j'aurais croisée,  là-bas, en ressorte  froissée, ici.

  Sauf "X", bien entendu ; dans son genre, "X"  a en effet  atteint des sommets.

 Le "couloir" me l'a appris dès le premier jour :  "X"  était  " la maîtresse de Y", (je n'ai pas bien compris qui était "Y"" , et en plus je m'en foutais royalement, m'enfin on ne pouvait échapper à cette information, semblait-il ). Cela lui permettait  d'avoir pour le coup une attitude royalement conquérante et irradiant la confiance en soi (malgré une nervosité certaine, une beauté déjà bien attaquée par l'âge et une sorte de  fausse réserve   -comme si elle avait eu envie de rompre un incognito subi malgré elle -  tout en allant fumer clope sur clope à la fenêtre, ).

 Ce statut particulier semblait   lui  accorder quelques privilèges :  arriver avec deux heures de retard,  sans même s'excuser,  s'asseoir pour débiter son texte, échappant ainsi à celui des  onze autres produits la veille , dont nous écoutions patiemment le rendu oral depuis le début de la matinée,    distribuer  conseils et avis en faisant bien sentir qu'ils étaient "autorisés" et donc "indiscutables",   et enfin  bien spécifier à l'organisatrice  venue relever les noms des participants au banquet  final, "qu'elle, elle  ne faisait pas partie des stagiaires, n'est-ce pas, mais de "l'équipe" des organisateurs, 'invités d'honneur et personnalités".

Ben voyons.

Nos rapports furent évidents de suite : elle eut envie de me gifler aux premiers et derniers mots échangés.

Qu'aurions pu nous dire, d'ailleurs, puisqu'ellle  trouvait, elle, "absolument génial qu'il n'y ait eu aucun tour de table ni aucune espèce de dynamique de groupe mis en place : au contraire, la création littéraire des textes écrits en commun serait  ainsi sublimée par notre absence d'esprit de groupe, car nous n'étions pas là pour nous aimer, mais bien pour acquérir des techniques qui allaient nous permettre d'approcher la  génie  littéraire dans ce qu'il  avait de plus fondamental. "... Elle  approuva bien évdemment  sans réserve (voire en le suggérant)   le choix final  du texte "écrit en commun", clou de la semaine qui devait être enfoncé devant l'ensemble des participants pendant la dernière soirée,  et qui   fut évidemment à l'opposé de mon goût personnel.

Je reconnais que peu de gens y sont arrivés,  mais  "X" me fit taire :  j'atteignais, avec elle, un tel niveau de non-communication que seul le silence pouvait permettre notre coexistence dans la même pièce, et j'eus la sagesse de m'y tenir...

 Mais ce serait évidemment mentir que de brosser ainsi le portrait de toutes les participantes. En réalité, nombre d'entre elles étaient des  femmes empathiques, intelligentes et cultivées,  plutôt fines et aux remarques frappées du bon sens. Je me souviens du  sourire réconfortant de l'une d'elles (la seule, d'ailleurs, qui  me tendit la main à mon départ...)  : j'avais tenté d'expliquer mon malaise, elle m'avait écoutée (vraiment, pas comme d'autres dont la conviction d'être au nirvana bouchait les oreilles pire que le cérumen )   et crue - mais m'avait répliqué, avec justesse, que le manque de convivialité  que j'éprouvais  au sein du "groupe" provenait peut-être aussi de ma propre attitude  : pourquoi  faire l'effort d'aller parler à  quelqu'un  à la mine renfrognée et à la nette tendance à l'isolement ?

C'était parfaitement juste. Or, si j'ai beaucoup de défauts, j'ai au moins une qualité : quand on me met le nez dans ma merde, j'admets qu'elle sent mauvais. 

Après tout, je n'avais pas à juger l'attitude de Le Tellier, et à balancer si sa froideur provenait de la timidité, de l'arrogance, ou d'une réserve pédagogique visant à l'égalitarisme en vigueur dans nos écoles républicaines.  Certes, son stage était si scolaire  que, dès le second jour, j'en étais venue à lever le doigt pour poser une question, et j'avais spatialement dégringolé du premier rang (près du maître) à la toute dernière place, la plus éloignée (au bout de la pièce) ; certes, ostensiblement, ma plus proche voisine avait changé de place. Certes  enfin , j'avais l'impression que nos "créations littéraires fondamentales"  nous valaient un bon 12,  et que s'il n'y avait pas de quoi rougir, il n'avait pas non plus à pavoiser...

M'enfin, si ça ne lui posait pas de problèmes, à Le Tellier,  et s'il était aimé ainsi, de quoi donc me mêlé-je ?  Le malaise pouvait provenir  de ma personnalité rebutante... C'était elle qui me valait cette froideur et ces avanies...

Bref, en un éclair de lucidité, je me suis dit :

"Mais c'est bien sûr ! Michel Houellebecq, c'est moi !"

Je sentis aussitôt que cette formule n'aurait pas grand avenir, et surtout qu'elle ne m'aiderait pas à passer la semaine. Heureusement, les coups de fil quotidiens de Clopin, qui insistait pour que j'insiste, m'aidèrent à tenir le coup.

Eux, et une 'intervention chaleureuse et débonnaire, qui seule, je crois bien, aurait pu me servir de bouée, ustensile devenu si  nécessaire à ma ligne de flottaison, totalement défaillante  : Yan Monk (officiellement chargé des "débutants"),  oulipien patenté,   vint s'occuper de notre "groupe" pendant une matinée.

La veille, on avait entendu, à travers les cloisons, de longues rafales de rires provenant de la séance qu'il animait, qui rendaient encore plus assourdissant, par constraste, le terne silence qui entourait nos travaux appliqués.

Dès que Yan, avec bonhomie, entra dans notre salle, il apporta une chaleur que j'avais crue incompatible avec l'esprit oulipien. Non seulement il remarqua d'emblée que la disposition des tables n'était guère conviviale, et nous la fit changer (mais "X", dès le lendemain,  rétablit celle d'origine, et sur une question demandant pourquoi on changeait à nouveau , elle eut ces mots sublimes "J'ai  décidé unilatéralement de rétablir la disposition de départ, car sinon je manque de place" (*) , réplique qui vous montre à quel point ma résolution de garder le silence avec elle était héroïque, en vrai), mais il tint à nous rassurer d'emblée sur  les consignes, dont le respect pouvait être relatif,  sur  la valeur de notre travail, qui n'avait aucune importance, et nous recommanda surtout de prendre du plaisir...

J'étais sauvée.

L'étais-je vraiment ? 

 

(suite encore plus pathétique à plus tard, mais j'ai des bagages à défaire, alors...)

 

(*) : totalement authentique.Hélas.

 

 

 

L'appel à Tartes (6)

Tarte N°6, dite « et pour cela préfère l’impair »

Bien entendu, j’ai accumulé un tel nombre de gaffes, pendant cette semaine oulipienne, qu’il faudrait un souffle un peu plus puissant que le mien pour  en dresser l’inventaire  avec exactitude.

Je  vais vous en citer cependant quelques unes,  histoire de me déculpabiliser un tantinet  :

  • A l’annonce des résultats, je veux dire quand j’ai appris que je rejoignais, (ô surprise), l’atelier animé par Hervé Le Tellier, j’ai interpellé ce dernier dans la cour de l’école. D’un ton léger (enfin, d’un ton léger dans ma tête, toute encore imprégnée des facéties Le Telliériennes en matière de courrier à François Mitterrand), je l’ai abordé en ces termes : , « Dites, Monsieur Le Tellier, je voulais vous dire « merci », car c’est grâce à vous si je suis ici… » Et puis j’ai voulu faire ma maline, et  j’ai ajouté d’un ton plaisant, cherchant la complicité quoi, (le tout toujours dans ma tête, évidemment)  : « mais vous savez,  je suis difficilement soluble dans le collectif, alors  en cas d’échec,  je vous en tiendrais responsable…. »

Le Tellier (qui sifflait son gobelet de café sans daigner même regarder celle qui lui adressait ainsi la parole), me répondit, impeccablement imperturbable : « Bien entendu ». Et il me tourna le dos. Aussi sec.

Gloups.

  • La pause de midi me troubla encore plus, car personne ne sembla s’occuper de personne. En pareille occurrence, généralement, l’animateur dit quelques mots sur les modalités pratiques des repas,  se joint souvent au groupe et en profite pour faire faire connaissance aux uns et aux autres. Là, pfffouuu…  Tous les oiseaux s’envolèrent d’un coup, laissant quelques isolées, qui avaient le seul tort de venir pour la première fois,  mâcher solitairement leurs sandwichs touristiques. Dont moi, évidemment.

Re-gloups.

  • Mais là où je compris que j’allais vraiment être exclue de cette Cène où, de part et d’autre du Christ-Oulipien,  12  disciples s’agitaient, ce fut quand on m’expliqua qu’il était fort mal venu, de ma part, de râler contre le prix à mes yeux excessif  de la bouteille d’eau vendue, non dans une épicerie qui n’existait pas dans ce centre ville touristique, mais dans une « paneterie » : d’abord, « ce n’était pas si cher que cela », estima-t-on ( eh oui, tout est relatif, même la pauvreté). Enfin, une bonbonne était à disposition de toutes,  dans la salle. Ne l’avais-je pas vue ?
  • Beh non, je n’avais pas vu la grosse bonbonne, et je commençais à  comprendre qu’en plus du strict règlement intérieur du Jockey Club de l’Oulipo, il y avait, dans les ateliers ouverts au vulgum pecus, un règlement non écrit mais qui classait les participantes entre « celles qui en étaient » et « celles qui n’en étaient pas ».

Re-re-gloups : je vous laisse deviner  quel camp était le mien.

 Je n’avais cependant pendant encore pris bien  conscience que toutes ces gaffes étaient de  ma faute,  de ma très grande faute, comme de ne pas savoir où étaient ces p… de toilettes particulièrement bien cachées et non signalées, dans l’immense bâtiment harmonieux mais négligé où des restes de l’année scolaire, grands cartons, toiles bâchées, trainaient encore un peu partout.

 Je les cherchais longtemps, ces toilettes, n’osant pas interrompre les groupes de travail par une question intempestive, et pourtant il était urgent que je libère ma vessie, mais disons qu’à ce stade  mon méat  ne culpait pas encore, enfin, pas trop.

Mais ça allait changer très vite, et j’allais m’apercevoir que j’avais définitivement tiré la « boule noire » du blackboulage qui allait être mon lot.

  • J’avais en effet  cru que les ateliers oulipiens,   certes adaptés à un « grand public » moins érudit et moins  spécialisé que les écrivains « officiels », mais néanmoins pourvu des références nécessaires,  avaient comme but de nous distraire, voire même de nous instruire en nous amusant, comme chez ce cher Rabelais.

Qu’on était là pour rire, quoi, comme on rit en écoutant les Papous de Françoise Treussard…

Je croyais même , simplette que j’’étais, qu’on allait jouer à des jeux papous :  le délicieux et terrible diagnostic à l’aveugle, le « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué », le « +7 », les lipogrammes en « w « (les seuls à ma portée…),  les « experts contre faussaires », les fables revisitées, bref, tout ce qui m’ enchantait auditivement, pendant que je dégustais  mes poulets dominicaux.  Tout ce  à quoi j’ai joué avec le pauvre Jim,  pendant tant d’années, pendant qu’il me faisait écouter  Satie et qu’il comparait  l’humour de Perec à celui de Carroll… (nostalgie !)  

Or, toutes les filles  étaient formelles, et même le prof   le préposé Oulipien.

Ici, on  ALLAIT TRAVAILLER,  NON MAIS.

Il ne s’agissait pas de batifoler, mais bien d’acquérir très sérieusement les rudiments des techniques que  les grands ancêtres vénérés avaient utilisés  pour bâtir leurs chefs d’œuvre. 

Ou, pour employer une autre image, il ne s’agissait pas de faire tourner, comme le petit Marcel sur les Champs-Elysées, la roue de l’Homme de Vitruve de Léonard sur elle-même,  à l’aide d’une baguette pour voir combien de temps elle tournerait avant de se casser la gueule. Il s’agissait plutôt, armé de règles, de compas et d’équerres mentales,  de calculer les angles qui servaient au contraire à la faire  tenir debout…

Nuance.

L’atelier tout entier se déroulerait, journée après journée, en deux phases : un, chacun de nous écrirait un texte respectant des consignes et les contraintes formulées par le maître, le prof,  euh, l’animateur-écrivain de l’atelier, même si ça devait durer 6 heures d'affilée,

Deux , chacun de nous lirait son Oeuvre à toutes les autres, réunies dans la concentration d’une audition respectueuse, pendant disons une heure et demie-deux heures.

Ce programme  n’était encore rien.

Le travail étant du coup « difficile », on nous demandait de la concentration, de l’humilité et, si possible, le « moins de bruit possible ».

Je vous  jure ; quand j’ai appris ça, une fourmi commença à parcourir doucement mes orteils, puis mes chevilles, remonta vers mes genoux, traversa rapidement ma région pelvienne, explora mon ventre rebondi, dédaigna mon soutien-gorge et s’implanta directement dans ma gorge, où elle se ficha droit, empoisonnée telle une pointe  sarbacanée par un arumbayien tintinophile.

 Car bibi,  j’étais venue en VACANCES.

 D’ailleurs, je suis  formelle : toutes les affiches, tracts, flyers annonces sur facebook et autres précisaient que  la manifestation oulipienne s’appelait :

«  RECREATIONS »

(vous pouvez vérifier, je vous en prie)

Récréations ! Mon cul sur la commode, oui…

Et c’est alors que je me rendis compte que :

  •   D’abord, il avait fallu attendre onze heures pour que quelqu’un propose qu’on affiche nos prénoms, et je n’avais pas pu les lire, vu la disposition malcommode des tables. Je ne savais donc pas du tout avec qui j’étais, d’autant qu’il n’y avait même pas eu le traditionnel  « tour de table »  où chacune, en  trois phrases,  se nomme, dit de quelle  région elle  vient et pourquoi, en trois mots, elle est là, si c’est la première fois ou non, etc.
  • Ensuite, l’annonce du programme, à savoir qu’on allait TRAVAILLER  et ACQUERIR  DES TECHNIQUES que chacune, à sa guise, pourrait ensuite exploiter avec le brio qui serait le sien, n’avait semblé  épouvanter personne,  sauf moi. Toutes mes compagnes, sauf une ou deux (dont je reparlerai), semblaient  aussi volontaires pour ce programme épouvantable  qu’un groupe de scouts de France embarquant pour une petite croisière au large des côtes bretonnes, sous l’égide de leur berger spirituel préféré (quoique rude). Le vent, résolument positif, fouettait les visages et élargissait les sourires…

 

  •  Ces deux circonstances mises en parallèle me firent d’un seul coup comprendre l’évidence.  En fait, mes compagnes  entassées autour de cette maudite table de cours, trop longue et trop étroite, qui  empêchait toute convivialité, JE LES RECONNAISSAIS.

 

 Comment avais-je pu les oublier ?

Certes, elles avaient un peu changé, étaient plus souriantes que dans mon souvenir, d’un abord ma foi un peu  plus plaisant qu’autrefois.

Mais c’étaient bien elles : c’étaient toutes mes anciennes professeures de mathématiques, d’anglais, d’histoire-géographique ou d’économie, enfin, toutes celles dont j’avais eu tellement la trouille : ils n’y avaient qu’elles qui pouvaient ainsi se pourlécher d’avance à l’annonce d’un programme aussi laborieux.

Mon intuition se confirma très vite, dès que j’ouvris la bouche malgré l’interdiction. (ça aussi, c’était du vécu).

 

Quand j’ai  demandé  au prof quelques explications supplémentaires  sur l’énoncé du problème qu’il nous exposait, ma voisine de face m’informa  en effet, assez sèchement, que «  poser de telles questions, c’était bien, m’enfin que ça enlevait du temps à tout le monde, ça dérangeait quoi,  et que je n’avais qu’à faire comme les autres, ce n’était pas si difficile à comprendre,  tout de  même » 

C’était elle !  

 Le  ton de la  voix, la légère commisération de la phrase, la sûreté du  jugement sur moi, l’assurance du  bon droit avec lequel  elle allait me coller un 2/20,  la condescendance  consciente de l’évidence du service rendu  en me remettant à ma place « pour mon bien » : c’était bien Madame  Grangier, ma prof de maths de la quatrième 4è 3 de 1969 (ou bien c’était sa descendante directe, enfin quelqu’un qui partageait visiblement le même ADN) . Et elle était là avec toute l’ancienne salle des profs…

 

Donc, en résumé et à quelques exceptions près,  j’allais consacrer  ma semaine de « vacances » à « travailler »  avec  les descendantes directes de celles qui avaient marqué,   au fer rouge de l’ennui,  les heures les plus longues et les plus pénibles de ma vie scolaire…

 

« RECREATIONS  »

!!!

Douze culs, au moins, sur la commode, oui.

 

(la suite moins indignée mais tout aussi désastreuse, voire plus, demain.)   

L'appel à tartes (5)

Tarte N° 5, dite « comment creuser soi-même sa propre tombe ».

 

J’étais assez curieuse de savoir comment  l’organisation en  chef allait répartir  les quelques 70 participantes,  (les mecs présents étaient si peu nombreux que  j’ai audacieusement  décidé de surseoir, ici,  à la règle du masculin l’emportant sur le féminin, qu'il faudra quand même songer un jour à abolir de la Constitution)  dans  les six ateliers proposés.  

Cette répartition fut assez honnêtement menée, disons assez « impartialement » :  après avoir écouté l’énoncé, par  les  six écrivains oulipiens , des thèmes des ateliers que chacun d'enre eux proposait, il nous fallait en choisir  3 ,  et les hiérarchiser, du plus convoité au pis-aller, sur un petit papier carré distribué à cet effet à chacune d’entre nous, et dont les sommités s'empareraient par la suite pour organiser le tout.   

Mon choix numéro 1 fut  vite fait :  j’étais ici à cause  de mon écoute régulière et dominicale des Papous dans la Tête, et de la formidable rigolade qui  avait suivi ma lecture du  dernier livre (génial)  de Le Tellier :  « Moi et François Mitterrand ».

 Donc, sans même  attendre le  speech de  présentation de son projet,  pendant lequel   Le Tellier nous a  expliqué  sérieusement que son  atelier à lui  allait nous permettre d’acquérir « les règles du roman à contraintes pour  déboucher ensuite  sur une œuvre romanesque collective » , j’inscrivis son nom en « premier choix  façon boucherie", c’est-à-dire  sans hésiter.

 De toute manière, s’il avait proposé, comme thème, «   comment écrire une histoire de Toto que personne n’a jamais encore entendue »,   j’aurais  fait pareil, alors…

Mais une question me taraudait  : si tout le monde  faisait les mêmes choix ,  qu’est-ce qui risquait de se passer, hein ?

Je veux dire que la célébrité agit sur les êtres humains comme les cris des crapauds bufo bufo sur les femelles de leur espèce : ça  les attire !

Alors, prenons pour hypothèse  que,  parmi les auteurs présents, il y ait eu une célébrité surpassant toutes les autres. Michel  Houellebecq, tiens. N’y aurait-il pas eu une ruée vers son atelier à lui ? (même si  son thème  avait été un truc franchement bandant, du genre  « comment participer à un atelier littéraire avec  un bon sujet de rigolade comme la  misère affective de  l’homme contemporain ?» )

Bon, en fait Houellebecq  est un mauvais exemple, parce que, même célébrissime, je suis sûre que mes  voisines auraient hésité, à cause de son côté disons légèrement antipathique (oh ! si peu !) . Elles se seraient finalement rendu compte, ( même en sublimant  la baisse de la libido du public féminin  dont  les  plus grands artistes pâtissent, hélas, quand ils commencent à s’adresser à une certaine génération),,  que « Pablo Martin Sanchez »,   par exemple,  sans être  sacré « meilleur écrivain de sa génération »,   semblait, par rapport à Houellebecq,   disons  plus  détendu, plus  sympathique, plus rigolard et qu’en un mot,  son physique aux beaux yeux catalans  attestait aimablement qu’il était né vers la fin des années 70. Lui.

 Houellebeq n’aurait donc pas  fait le poids. Y’aurait eu trois zombies dans son atelier, (et sans moi, ben tiens), et flop.

 Là, je cherche juste à vous expliquer que, même avec toute l’impartialité et l’égalité humainement possibles, ça  devait  être un tantinet complexe, la composition d'ateliers à peu près équivalents en nombre de participantes, et ceci  en se basant sur des critères censés ne tenir compte   (soi-disant)  de rien d'autre que des thèmes littéraires proposés,  donc  en faisant abstraction, (ben tiens),  de celui qui les proposait, ces thèmes.

Surtout si tout le monde  faisait  comme moi...

Ben ouais. Comme je ne connaissais personne, que l’énoncé des thématiques ne m’évoquait guère que de nébuleuses  théories fort  lointaines de ma galaxie littéraire, et que je n’avais pas envie de m’être tapée 600 kilomètres pour me retrouver  face à un écrivain inconnu à un atelier « poésie »  (pour des raisons strictement personnelles que je me ferais un plaisir de vous raconter à tous et toutes quand ça me prendra) , j’ai  rédigé (sous cette forme)  sur mon carré de papier, afin que nul n’en ignore  :

Choix 1 : atelier d’ Hervé Le Tellier

Choix 2 : les techniques de romans à contraintes d’Hervé Le Tellier

Choix 3 : l’écriture d’un roman collectif avec Hervé Le Tellier.

J’attendis avec confiance le verdict des sommités.  Je trouvais qu’en rédigeant ainsi mes choix, j’avais brouillé astucieusement les pistes. On allait me prendre pour une débile qui n’avait rien compris aux consignes (et encore, ce n’était que le début !) , c’était à peu près sûr, m’enfin  disons  que s’ils faisaient mine de ne pas comprendre dans quel atelier je voulais être affectée, c’est qu’ils y mettraient de la  mauvaise volonté ;   et j’espérais donc avoir ainsi  la chance d’échapper à Ian Monk (pas Thélonius, hein !) , Pablo Martin Sanchez, Eduard Berti, Frédéric Forte ou encore Olivier Salon.  

J’avais eu raison :

Ca a marché. J'ai été affectée, hosannah, à l'atelier littéraire autant qu'Oulipien d'Hervé Le Tellier.

Youpi ?

Hélas !

(suite à demain, à moins qu’un ami d’Hervé Le Tellier, craignant de nouvelles et sensationnelles révélations de ma part, ne supporte plus ma subjectivité pourtant assumée et ne vienne me ficher une baffe. On verra.)

L'appel à Tartes (4)

Tarte n°4,  dite « où l’on passe à table pour les aveux. »

 

Jadis, j’ai vécu  une vie antérieure,  tous comme les Bretons aux Bonnets Rouges :   « sous de vastes portiques », ou pour  préciser encore   « dans un pays lointain » comme disait  Racine cité par Yourcenar, sur Radio France Culture,   dans le générique de l’émission «  Concordances des Temps » du samedi, par Jean-Noël Jeanneney, de 10 heures à 11 heures du matin.   

(cette  dernière phrase que vous venez de lire, ô vous mes quatre  lecteurs curieux et  légèrement inquiets, est censée  en fait vous rassurer sur l’état global de ma culture générale, sans pour autant trop l’étaler, n’est-ce pas…   Car  j’ai bien conscience que les drames divers qui vont se succéder dans mon récit pourraient fort bien être attribués à la faible étendue de cette dite-culture générale, donc je cherche à prendre les devants, et à vous persuader que cette dernière est,  comme la tournure grammaticale dont je viens d’user dans ma dernière proposition, juxtaposée, subordonnée et relative.  En clair, quelqu’un qui écoute (au hasard)  tous les samedis Jean-Noël Jeanneney doit pouvoir, normalement, encaisser le choc d’un atelier oulipien  autant que berruyer...  Disons au moins que je le croyais, et n’oublions pas que le chapitre d’aujourd’hui constitue des aveux. Allez, je poursuis, c’est comme un médicament, c’est difficile à avaler mais après on se sent mieux.)

 

Dans cette vie antérieure, donc, j’administrais une salle de spectacle qui, quoique municipale, invitait souvent des vedettes. J’assistais, depuis les coulisses,  à l’attente du public  avant le commencement des shows,  et, rien qu’à leurs réactions, je pouvais deviner l’état d’esprit  des spectateurs : parfois  « flûté » comme la bouche pincée d’une Guermantes qui sait qu’elle est à l’endroit à la mode,  ou bien « impatient et nerveux  »  comme un fan de Johnny, « curieux et crédule » pour une séance de prestidigitation, et « frémissant d’avance d’un plaisir extatique » , en cas de (re)connaissance d' artistes prestigieux.

 

A Bourges, ce fut ce dernier  frémissement d’aise qui s’empara de la salle  et qui prédomina les réactions des 80 personnes de l’ampli. Je sus donc  d’avance que toutes et tous seraient ravis de ce qui allait se passer, que tous en goûtaient déjà le fumet et le goût, que tous seraient enthousiastes et prêtes à tout….

Sauf moi.

Car ce e fut à ce moment que je commençai à prendre l’exacte mesure de ma tragique situation.

 En effet,  les 6 écrivains  artistes complets qui présentèrent, tour à tour, leurs projets d’ateliers, semblaient tous parfaitement connus de mes voisines (et de mes rares voisins).

Or, je n’en connaissais qu’un, et encore ! Les autres, à savoir Ian Monk, Pablo Martin Sanchez, Eduard Berti, Frédéric Forte, Olivier Salon, m’étaient parfaitement inconnus. Mais alors là, vraiment ignorés, hein.  Rien dans mes fiches.   Que pouic. Pas l’ombre d’une réminiscence, d’un « ah mais c’est vrai, celui-là c’est celui qui… » ; Ni le souvenir d’ une émission, d’une citation, d’un livre acheté quelque part…

Le vide.

Et puis, ce n’était que des hommes qui étaient là, devant ce parterre en grande majorité féminin. Je  souligne  bien « féminin », car j’estime que, même ménopausé, (et la plupart des participantes, à vue d’œil,   avaient passé ce cap ) le  sexe des femmes a de l’’importance. Bref.

 

En tout cas, ce fut la toute  première question naïve que je posais à mes voisines, toujours extatiques : « Il n’y a donc que des hommes, dans les animateurs ? »

On me répondit avec brièveté (car il ne fallait pas perdre le fil du discours de l’orateur qui, en bas, expliquait son projet) que « c’était normal, à l’Oulipo il n’y a pas beaucoup de femmes ».

J’ai continué (non mais, vous avouerez, quelle bécasse !) « Mais enfin, Dominique Muller, Clémentine Mélois, Eva Almassy ??? »

La voisine du rang du dessous se retourna, impatientée, et m’asséna : « Mais ce ne sont pas des oulipiennes ! Ici, on est à l’ OULIPO, voyons… ! »

J’allais continuer mes questions simplettes, mais des « chuuuttt » sonores protestèrent contre mes interventions (c’était la première fois qu’on me rappelait à l’ordre  mais ça n’allait pas, dieu jésus, être la dernière…)

 Je me tus donc, mais je sentis comme une sueur qui me montait au front…

Je croyais savoir ce qu’était l’OULIPO ; et si, le samedi, j’écoutais Jeanneney, le dimanche, je goûtais goulûment les Papous de Françoise Treussard, ce qui faisait, d’ailleurs, que je connaissais (entre autres)  le nom d’Hervé Le Telllier.

 

Mais un gouffre s’ouvrait sous mes pieds : n’aurais-je pas commis comme une confusion, une erreur d’appréciation, un délit d’ignorance, et n’étais-je pas en train de monter, avec la cuillère de ma légèreté coutumière, comme une mayonnaise  qui risquait fort  de tourner, avec la moutarde Le Tellier, le  jaune d’œuf Papou et l’huile Oulipienne ? (et pourtant, moi aussi ménopausée depuis un bail, j’aurais dû ne plus rien risquer du tout…)

 

Et si je m’étais ainsi fourvoyée,  qu’est-ce que ma présence signifiait exactement, ici, puisque, malgré ma bonne volonté tendue à l’extrême (d’ailleurs, ma bouche s’en tordait un peu et mes yeux se plissaient, comme à chaque fois que j’ai le net sentiment de faire une gaffe et que je cherche à l’éviter, ce qui l'aggrave souvent…), je ne partageais visiblement pas l’extatique  qui s’était emparé des gradins ?

Et qu’en plus, HONTE A MOI, HONTE, HONTE, HONTE, je n’avais aucune connaissance des personnalités littéraires avec lesquelles j’étais censée passer une pleine semaine (sans compter que, même sans parler "personnalités",  mes voisines, elles,  m'étaient toutes aussi inconnues, bien qu'elles semblaient se connaître toutes les unes les autres ???)

 

(la suite à demain, parce que pour aujourd’hui les aveux, ça suffit. Je veux donc que Guy Marchand aille, à la demande de Lino Ventura, me chercher un sandwich et une bière, avant de continuer mon récit, en  garde à vue.)

L'appel à Tartes (3)

La tarte N° 3 : la Crème de la crème

 

Une lettre.

 L’organisatrice en chef avait envoyé une lettre à tous les inscrits, elle pouvait le certifier, accompagnée de tous les documents imaginables :  itinéraires divers et variés suivant de là où on venait, places de stationnement repérées par de grosses croix rouges sur des plans se dépliant et se repliant facilement, modes d’emploi des parcmètres municipaux au cas où, photo du buffet organisé à l’arrivée avec déclinaison des choix possibles entre les quatre sortes de thés et les 7 mini-viennoiseries offertes,  suggestion de la  marque recommandée pour les stylos dont nous devions être pourvus, plans des salles où se dérouleraient les ateliers, avec indication des  meilleures places  (celles près des fenêtres),  mention des  lignes vertes qui seraient peintes sur le sol  pour faciliter le repérage des toilettes, emplacements des prises électriques à chaque étage avec précautions d’usage rédigées en 4 langues, et  énumération des  8 numéros de téléphones  portables  qu’on pouvait  appeler en 24/24,  pour chaque incident potentiellement conducteur d’annulations, des plus courants comme la bête panne d’essence aux plus imprévisibles (qu’il convenait pourtant d’envisager), comme les typhons ou les décès subits du premier, second et troisième degré ( il suffirait aux participants d’indiquer le motif de leurs défections, le décès de la vieille tante de province faisant partie, par exemple,  de la troisième catégorie).

Lettre que je n’avais jamais reçue.

Evidemment.

C’est exactement dans ce genre de situations qu’on regrette de ne pas être japonais.

 (ceux qui me connaissent bien pourraient s’étonner de cette déclaration, mais en l’occurrence, c’est exactement ce que j’ai ressenti !)

Car  au Japon, on SAIT. On sait  parfaitement ce qu'il convient de faire en pareil cas.

Ah ! Si seulement  la table qui  nous séparait, l’organisatrice en chef et moi,  n’avait pas été installée à Bourges, mais à Takitomi, préfecture d’Okinawa !

 L’organisatrice en chef,  dans ce cas, devant ma bouche béante et mon air niais qui témoignaient, en ma faveur, de ma sincérité, se serait confondue en excuses hypocrites et m’aurait proposé avec ferveur et sollicitude ses services, pour atténuer  les insupportables désagréments  que l’inqualifiable erreur des services postaux nationaux avait   causés à mon estimable équilibre intérieur….

J’aurais bien évidemment surenchéri : quelle stupidité avait été la mienne, d’envisager un seul instant qu’une personne compétente comme elle eût  pu commettre une seule erreur, alors que toute la faute m’incombait, puisque c’était bien l’incurie coupable des services postaux nationaux qui était en cause, et que j'aurais dû, le subodorant,  filer me renseigner à l'agence postale de mon village  (celle qui, désormais, est ouverte une demi-heure le vendredi matin et entre quinze heures treize et quinze heures vingt-quatre le mardi après-midi) ! Comment avais-je pu être assez indigne pour oublier que  prévoir et organiser  le bien-être requis par une telle manifestation, relevait du savoir-faire de mon interlocutrice,  dont la réputation  était connue de  tous les continents ? Non, non, la faute était entièrement mienne, j’aurais dû me renseigner, et la seule réparation que je pouvais offrir, en signe de repentir sincère et d’admiration, à mon interlocutrice, serait de lui envoyer le double du courrier indigné que j’allais rédiger aux inqualifiables incompétents (sûrement des grévistes) des services postaux, dès mon retour dans ma si mal desservie patrie natale…

Bref, nous n’aurions perdu la face ni l’une, ni l’autre.
 

Mais nous étions à Bourges (France) . Donc nous avons simplement répété sur un ton impatienté, perdant ainsi encore cinq bonnes minutes, l’une qu’elle avait envoyé sa b… de f… de m.. de missive, et l’autre qu’elle ne l’avait jamais reçue,  cette  b… de f… de m… de  lettre.

Manière bien française de ne pas perdre la face, certes, mais quelque peu stressante et inefficace…

Et puis je suis entrée sous le porche, rouge de honte d’avoir ainsi fait attendre « tout le monde »,   et me suis enfin  retrouvée quelques minutes plus tard assise parmi tous ceux qui attendaient, depuis une demi-heure,  d' entrer dans l’amphithéâtre où l’on allait procéder à l’élaboration des groupes des six ateliers de la semaine.  

 Ce fut là qu’entrant à la queue leu leu,  6 personnages  en quête d’apprentis nous firent face….

Je n’en reconnus qu’un, celui à cause duquel j’étais là : Hervé Le Tellier. Les autres m’étaient inconnus, mais je me suis doutée  cependant que j’avais devant moi la crème de la crème, car quelques applaudissements, discrets mais efficaces, saluèrent leur présence devant notre parterre…

 

(suite, ou plutôt  aveux supplémentaires, à demain).  

L'appel à Tartes (2)

La deuxième tarte, dite ‘tartare ».

 

Il existe en fait DEUX Bourges.  (un certain « Dark Pioupiou » de ma connaissance  dirait que deux, ça fait déjà trop, mais lui,  faut dire qu’il est alternatif libertaire, alors…).

 D’abord, une ville « normale », c’est-à-dire ayant adopté, comme partout, la  laideur gangrenée  propre au vingt et unième siècle néo-capitaliste.  (et voilà ! Dès que je pense à Dark Pioupiou, je me sens aussi contaminée par les idées anarchistes que Fukushima l’est par  les particules radioactives, mais c’est que je suis influençable, au fond…).

Je veux dire  que Bourges est une ville  avec d’innombrables  ronds-points,  des centres commerciaux,  des grils courte-paille et des halles aux chaussures,  des panneaux publicitaires géants, des  façades d’HLM varicellées d’antennes  paraboliques et  des  bretelles autoroutières  usant d’un  vocabulaire  aussi innovant que difficilement  géographique. Par exemple, alors que vous cherchez (vainement) la pancarte « centre-ville »,  une énorme  signalétique électrique vous informe :   «  BARCELONE- MONTPELLIER:   suivre la C45-B33a jusqu’à la sortie 22 de l’A 76 ».

Bref, que de l’explicite.

 

Ensuite, Bourges est aussi une  «  vraie » ville, ce qui signifie historique.  Une ville  piétonnière, où les bagnoles ne circulent pas, ce qui est une bonne chose, mais doivent donc se garer, ce qui compliquait dans mon cas  un tout petit peu le respect de l’horaire sacré du rendez-vous de 9 heures pétantes, dans cet endroit précis que j’ignorais encore.

Bourges est une des villes de France qui a le moins morflé, architecturalement parlant, des petites embrouilles de voisinage survenues lors du siècle dernier : tout est à peu près resté debout. Imaginez une de ces magnifiques maisons  particulières rouennaises, aux façades à colombage, au voisinage de l’église Saint-Maclou, par exemple . Ben, à Bourges, vous en avez des rues entières, en losange et croix de Saint-André. Sans rire, si j’avais eu le temps de regarder autre chose que les sens interdits, j’en serais restée médusée.

En prime,  est installé un réseau de caméras de surveillance bigbrothérien,  qui, d’un seul coup d’un seul, te rappelle que tu es tout de même au 21è siècle, et qu’il faudrait pas effaroucher le  propriétaire du porte-monnaie chargé d’euros à qui tout ceci est destiné : le touriste ordinaire…

Touriste qui est détendu, donc, mais qui est incapable de te donner la moindre indication, vu qu’il est désolé, mais qu’il n’est pas d’ici.

Ahahah.

 

Il était 8 heures quarante. Je devais prendre une décision, et une place de parking.

 Je trouvais les deux ensemble,  à 8 heures quarante-quatre, et arrêtais ma twingo qui venait de rouler cinq heures d’affilée juste en contrebas du Palais Jacques  Cœur. En face du parcmètre qui refusa ma carte bleue, pour des raisons qui auraient dû m’être expliquées sur un écran électronique que je ne fus pas foutue, hélas, de  faire fonctionner. Le monsieur qui attendait son tour, derrière moi, finit, soit de guerre lasse (car je n’avais pas non plus de monnaie),  soit par pitié, par me donner cinquante centimes. C’était peu, mais la machine avala la pièce. Ca me donnait un bon quart d’heure pour trouver, à pied, et sans craindre de PV, l’endroit où j’allais…

 

Hélas. Les réponses des  authentiques autochtones (je les repérais à leur absence de tongs) furent  toutes à peu près les mêmes,  bien que posées successivement  à 8 heures 50, 58, 9 h 06 et 12.

 

Pour aller au restaurant « La Gargouille », ben suffisait de suivre le chemin de la Cathédrale, oui, celle qu’on voyait là-bas, c’était beau, hein ? Et la Gargouille, ça, on me le recommandait sans réserve.

 

Mais pour les ateliers littéraires consacrés à l’OULIPO, là, la réserve semblait de mise.

 

Personne ne savait quoi que ce soit.

 

Je devins, vers 9 heures 15, définitivement héroïque : je refusai l’entrée du désespoir dans ma cervelle désemparée. Du coup, (et comme, au palais Jacques Cœur, la seule personne que j’avais vue devant les portes fermées était une femme de ménage qui, entrant dans les lieux  à 9 heures vingt et une,  m’avait indiqué que « ça l’aurait beaucoup  étonnée qu’il se passe quoi que ce soit avant 10 heures, vu qu’elle devait passer la  toile à laver dans le hall  avant l’ouverture des portes…), je me suis rabattue sur la seconde partie de  mon altière native : l’école des Beaux-Arts.

Où j’arrivais vers 9 heures vingt-cinq.

Et où je fis la connaissance de l’anonyme que je vais me permettre de nommer « l’organisatrice en chef ».

J’étais dans un sale état. Suante, sichoufflante, perdue, inquiète, pensant sans arrêt que les cinquante centimes étaient bouffés depuis longtemps et me demandant combien ça coûtait, un PV juste en-dessous du palais Jacques Cœur,  un peu nauséeuse et surtout honteuse : car moi qui ai horreur de ça, j’étais en retard. Un retard tartare, cru, saignant, sous la selle de mon cheval fourbu, tirant la langue. Un retard qui allait peser son poids de pénibles minutes…

Bref, un état psychologique assez voisin de celui de la petite fille qui, à l’école primaire, n’ose pas demander à aller aux cabinets,  devant toute la classe.

L’organisatrice m’a donc instantanément reconnue, et, pour couper court à mes explications désordonnées, mes tentatives de demandes d’aides et le commencement d’un soupçon d’exaspération qui me montait, malgré moi, aux narines, elle adopta le ton ferme et compétent de la maman qui te me va l’éduquer, tiens, l’enfant récalcitrant.

D’abord, elle m’indiqua aimablement que cela faisait donc une demi-heure que « tout le monde m’attendait », et que « ça causait un sacré retard dans l’organisation ».

 

C’est un point de vue d’organisatrice en chef qu’en d’autres temps, j’aurais parfaitement accepté. Après tout, moi aussi, il m’est arrivé, des fois, d’être competente, efficiente, organisée, sévère-mais-juste et sûre de moi. Et même bénévole…

 

Mais là, je voulais juste qu’on réponde à mon affolement, et surtout je sentais une envie irrépressible de comprendre ce qui venait de m’arriver, qui  montait de mes nerfs crispés. Pourquoi donc les autres, les quelques 80 personnes que je voyais au loin, dans la cour carrée du bel immeuble des Beaux-Arts, prendre un petit déjeuner détendu, n’étaient-elles pas, comme moi, debout devant une femme assise  qui vérifiait méticuleusement que, malgré mon retard et le trouble que je causais déjà (qu’est-ce que cela allait être par la suite !!!), j’avais bien rempli mes obligations  et avais donc le droit d’être là  (encore que… Le retard…)  

 

Je fus sauvé par un jeune homme à catogan et cheveux bouclés, un stagiaire ?,  à  qui l’organisatrice,  prenant conscience que mon désarroi atténuait encore des compétences dont, d’un seul coup d’un seul, elle venait de prendre la faible mesure, enjoignit de s’occuper de moi.

 

A 9 heures trente cinq, j’étais au volant de ma twingo. A trente-huit, j’entrais dans le parking sécurisé « prévu à cet effet » dont les 79 autres personnes avaient eu connaissance, à part moi. A 9 h  40, le  jeune homme me sourit, un peu navré, et j’eus la soudaine intuition que sa sollicitude  (qui me détendait à la hauteur d’un tube de valium)  provenait peut-être aussi d’un passé rugueux avec l’organisatrice en chef, qui sait ?

 

Ca m’est déjà arrivé, dans ma vie, d’avoir le soutien silencieux de galériens timides qui, cherchant à prévenir les dangers vers lesquels, avec mon inconscience habituelle, je me dirigeais tout droit, me venaient spontanément en aide, parce qu’ils étaient déjà passés par là…

 

N’empêche que, même en empêchant 80 personnes de respecter un horaire aussi scrupuleux qu’utile, je voulais comprendre ce qui venait de m’arriver. A savoir, entrée en Bourges à 8 h 35, ne franchir le porche de l’école des Beaux-Arts qu’à 9 h 50…  

Et donc, revenue devant la directrice de l’école primaire, l’organisatrice en chef, je posais la question qu’il n’aurait pas fallu…

 

(la suite à plus tard. Je demande humblement pardon à toutes celles qui ne sont intéressées  du récit de mes souffrances  qu’à cause de la présence, dans les parages, d’Hervé le Tellier : il n’apparaîtra qu’à son heure… Disons qu’elles pourront alors choisir leur lecture « à la carte ». Mais moi, j’ai besoin d’écrire mon histoire « par le menu » !!!)  

L'appel à Tartes

L’appel à tartes.

 

  1. La première tarte, dite «  l’arrivée ».

 

La première tarte, évidemment, ce fut celle  que je me suis à moi-même donnée : partir dans une ville inconnue, à un atelier littéraire tout aussi ignoré,  sans savoir exactement où  je mettais les roues.

N’importe quel individu  aurait eu  envie d’en savoir un peu plus…

Ahahah.

 Mais l’incertitude étant la soupe primitive dans laquelle j’ai bouillonné avant même d’arriver sur terre, toute l’aventure  me parut, à moi,  certes assez imprécise mais justement : ça devait être voulu. Décidé. Soigneusement élaboré.  

  Car si j’avais scruté et re-scruté la page « renseignements pratiques » du site internet de l’atelier « Récréations 2016 » de l’OULIPO, mis en lien à partir de la page Facebook d’Hervé Le Tellier,   je n’en avais tiré que deux conclusions :


- l’atelier commencerait à Bourges,  le lundi matin, à 9 heures pétantes.

- Il se déroulerait soit au palais Jacques Cœur, soit à l’école des Beaux-Arts, selon.

(selon quoi ? Ce n’était pas précisé, mais ma confiance inébranlable dans l’efficience des webmasters, qui était la bouée de ma soupe primitive pré-existentielle,  me fit ignorer superbement ce genre de détail.)

Donc, puisque j’avais décidé de consacrer, sur mes trois semaines de congés payés, une semaine entière consacrée  à la découverte d’une activité littéraire, je n’avais plus qu’à me lancer, munie de ces deux viatiques…

 Et dans la nuit du dimanche au lundi, en grimpant vers quatre heures du matin dans ma vaillante petite twingo, je m’en fis le serment : je serai à Bourges le lundi matin,  à 9 heures pétantes, soit au palais Jacques Cœur, soit à l’école des Beaux-Arts.

Selon.

 

Et ça n’a pas loupé.

 

Je fus seule. Ce fut long.

 

Car j’ignorais ce que je ne savais pas, et qu’il aurait fallu que je susse….

 

(la suite à deux mains).    

C'est cession !

Je n'aurais jamais cru en arriver là, mais puisqu'il le faut (grâce à Paul Edel, d'ailleurs, qu'il en soit remercié)  ! J'appelle donc à manifester  dès aujourd'hui  tous les habitants  rassemblés entre Neufchâtel-en-Bray, Gournay-en-Bray et Forges-les-Eaux, pour tenter d'arrêter tout de suite la mauvaise brise qui nous vient de nos anglais voisins...

Car ce serait folie que de quitter la Normandie !

J'en suis convaincue : tout nous attache ici !!! Nous sommes dans une boutonnière : si nous quittons l'affaire, le pardessus sera mal attaché, les pans de la veste flotteront, et il y aura une dissension fondamentale entre le cul et la chemise...

Je vous en conjure : parons tout de suite le mauvais coup que nous inspire la perfide Albion :

 

PAS DE BRAYXIT ICI !

 

 

82 %

82 %. Nous étions 82 % à voter Chirac, en 2002. Bien entendu, cette dernière phrase est grammaticalement correcte mais politiquement complètement absurde. Car dans ces 82 %, la moitié à peu près, disons 41 %, ne votaient pas Chirac : ils votaient contre le F. Haine.

J'en étais.

Moi qui ai toujours voté Parti Socialiste au deuxième tour, point dupe mais convaincue que ce parti pouvait avoir la volonté de contenir les appétits de la droite, cette année-là, j'avais comme une moiteur qui remontait de ma main vers l'urne...

Ma main est sèche aujourd'hui.

Demain, une fois de plus, je ferai grève et irai défiler à Rouen... Les dents serrées.

Car ma résolution est prise : quel que soit le cas de figure, je dis bien QUEL QUE SOIT LE CAS DE FIGURE, je ne voterai pas P.S. au second tour de l'élection présidentielle de 2017.

Je ne voterai pas pour un parti qui  me trahit, qui nous trahit, et dont la seule argumentation est de dire "avec la droite ce sera pire qu'avec nous".

Ce sera pire sans vous,  sans doute.  Mais ce sera SANS VOUS.

Tous ceux qui, demain, vont arpenter les rues, s'en font dorénavant la promesse !!!

 

 

Voilà l' été ?

Mon ami parisien, Jacques Barozzi,  se démène tant et plus : il vient de publier ceci, au Mercure de France :

 

Product 9782715243750 195x320

C'est un savoureux choix de textes autour du thème, mais hélas... Jacques a beau y mettre du sien : ça ne fait pas revenir le soleil...

Pourtant, la lecture des extraits (surtout celui de Giono, d'une ampleur lyrique qui fait remonter chez moi, à chaque fois, comme des réminiscences virgiliennes !) m'a ramenée à quelque dix ou quinze ans en arrière. Moi aussi j'avais célébré l'été, cette année-là, à ma manière bien sûr...

 

Voici :

Le cahier d’été

 

Cette année-là,  ce serait du solide. Du sérieux. Le cahier en attestait : pas moins de 132 pages, format 21 x 29,7, petits carreaux, couverture plastifiée,  grammage à  120. Puisque le clavier azerty allait rester près de l’ordinateur,  autant voir large.  132 pages, voilà une ambition  avec de la tenue, en  trois semaines d’été…

La résolution était prise : il serait posé là,  à sa place, sur la table du jardin, dès la fin du petit-déjeuner. Ou, à la rigueur, emporté près de la rivière : les larges pierres bossuées  où l’on étalait les serviettes, pendant les parties de baignade,  lui serviraient d’assise.  Ou encore il serait placé dans le panier du vélo, afin d’être utilisé sur les tables des cafés,  pendant les pauses que l’on s’accorderait, au village, en attendant le retour du marché de l’un,  la fin de la promenade de l’autre, ou l’arrêt des tours de manège des deux petits…  

 Mais en tout cas, pas une journée  sans en noircir les pages, sérieusement, et avec de la littérature, s’il vous plaît.  Peut-être pas les 132, en fait. Mais au moins 10… 8… disons  5 par jour…

Hélas, en tout et pour tout, ce furent  trois  pages seulement  du beau cahier sérieux qui  furent remplies. Et encore. Sur la première, on pouvait voir une liste de courses, qui s’égrenait ainsi :

  • 2 kilos de pêches
  • 2 kilos de tomates
  • Chips
  • Glaces à la fraise

Sur la seconde, deux enfants avaient colorié un magnifique dessin, une sorte de couple improbable où un Goldorak  piétinait un monstre assez indéterminé, mais plein de couleurs, avec des zébrures rouges et un gros soleil jaune, dans le coin à droite. Le cahier se souvenait fort bien de l’après-midi où les enfants s’étaient emparés de lui : on n’avait pas pu aller se baigner, cette fois-là…

Quant à la troisième, il y était indiqué, de biais sur la page, d’une grosse écriture ronde qui prenait une large place, qu’on était parti pique-niquer près de la retenue d’eau, et  que, si par hasard l’envie prenait le lecteur de venir se  joindre au groupe, qu’il n’oublie surtout  pas d’apporter une bouteille de rosé…

A  la fin de l’été, le cahier, oublié sur la table du jardin, n’était plus feuilleté que par le vent, qui en tournait les pages…  Et le vent  faisait  naître ainsi  un petit bruissement  narquois, empli de l’écho des rires et des « ploufs dans l’eau », du goût des fruits  mûrs et du balancement paresseux du hamac, un petit bruissement joyeux et satisfait, qui se moquait bien  des  cahiers d’été, des sérieuses résolutions, et de la littérature.

 

Clopine Trouillefou

(Chamborigaud, au bord du Luech)

Luech

 

Luech1

 

L'été, quoi.

 

La bande organisée !!!

J'ai ranconté l'histoire de l'oiseau que j'ai sauvé d'une mort certaine, l'autre jour. Mais ce que je ne savais pas, c'est que les assassins, que je dissociais jusqu'ici, opèrent en fait en bande organisée...

Sisi.

Tenez, ce matin même : la pluie ayant cessé depuis le lever du jour, à 8 heures j'étais dehors :  assise sur le banc encore un peu détrempé mais au soleil,  dans mon jardin, mon mug plein d'earl grey à la main, regardant vaguement mes roses et me demandant si nous allions pouvoir déplier la table de ping-pong : petites questions pour un petit quotidien  de peu de soucis, et rien de bien grandiose ni de bien dramatique...

Quand soudain...

Le gros Roucky passa comme une flèche devant moi, ayant à la gueule un petit corps brun d'où dépassaient, de chaque côté, de minuscules mains roses, presqu'humaines.

On ne se méfie jamais du Roucky, car c'est un chat lent, qui semble avoir moins de réflexes que d'autres, et qui ne saute sur les tables, d'un souple mouvement sans appel, qu'en cas de refus : il commence d'abord par quémander en miaulant qu'on lui évite cet effort en le portant à la bonne hauteur (je sais,  ça paraît  dingue, mais c'est comme ça chez moi. Le chat saute sur les tables...  Nous sommes en réalité au service de  nos animaux, qui profitent sans scrupule de notre faiblesse collective)... Mais cette lenteur et cette paresse proviennent surtout du fait que sa mère a été tuée trois semaines avant son sevrage : certains apprentissages lui ont ainsi manqué.

Mais, même sans apprentissages, un chat reste un chat, bien sûr. Ce n'est pas la taupe de ce matin qui me contredira : elle a compris sa douleur...

Roucky s'était bien gardé de la tuer d'un coup : il comptait sûrement, après l'avoir relâchée, jouer un peu avec - même en n'ayant jamais lu le Maüs de  Spiegelman, on sait bien cela !

Mais l'autre assassin était là lui aussi, j'ai nommé le grand chien maladroit Ti'punch, qui ne lâchait pas son coéquipier d'une  semelle. Et sitôt que Roucky eût laissé tomber sa proie, le voici qui bondit dessus, l'emporta comme un fromage et finit le boulot...

Puis revint, me demanda un câlin  en posant sa tête sur mes genoux, fit une sorte de caresse au chat (qui se demandait encore où était passée sa taupette), et reprit, comme si de rien n'était, sa posture de chien modèle...

Franchement, de quoi gâcher mon déjeuner : aucun scrupule dans les yeux tranquilles de mes assassins préférés. C'est bien la peine d'avoir des animaux qui se prennent visiblement pour des êtres humains, si on n'arrive pas à  leur inculquer un peu de culpabilité, deux sous de remords et un peu de sens moral...

 

Soupir.

L'inquiétude d'une étrange beauté...

L'être humain est quand même pas terrible, quand on voit ce que la nature produit ailleurs (et je ne parle pas seulement des tigres !) : ici même, au beau milieu du pays de Bray, dans un milieu parfaitement inattendu (mais stratégique en regard de certains thématiques), un pote à nous a trouvé un  champ "d'orchis abeille", des orchidées protégées et garantes de biodiversité...

 

Orchidee

C'est quand même autrement foutu, question esthétique, que notre à peu près glabre peau rose, nos membres qui pendouillent et nos extrémités fourchues. C'est beau, quoi, une orchidée, même si cete beauté a quelque chose d'inquiétant, à force, comme tout ce qu'on a du mal à comprendre...Unnamed

 

Il parait que celle-ci se déguise, pour mieux la tromper, en abeille, d'où son nom. Mais qu'importe le nom, pourvu que ce genre de splendeur continue d'exister, même (et surtout) sans nous...

 

 

 


 

Etienne et Jules (ou plutôt Antoine et Pierre !)

Ce billet est mis en ligne ici pour contourner sournoisement la modération assoulinienne. Que ceux qui n'y comprennent que pouic passent gaillardement leur chemin, on ne leur en voudra pas !

 

aouh la polémique, Victor !

Je tape vite, j’ai donc retranscrit le billet d’Antoine Perraud sur France Cul, tout en l’écoutant. Voici :

« « tout part alors du blog de Pierre Assouline, la République des livres. Ecrivain, critique et membre de l’académie Goncourt, Monsieur Assouline, qui cloisonne en général assez bien les choses, s’adonne au conflit d’intérêts le 13 mai (cette date tient du mauvais signe, en République). Le connaisseur de la vie littéraire, sournoisement, cède le pas au juré vexé. Joseph Andras a mordu dans la main qui le primait, il mérite une fessée. La correction de Maître Assouline prend la forme d’une intrigue. Fondé sur des cancans, son billet de blog, allusif et vipérin, devient rampe de lancement de la rumeur. A partir d’une évidence, sans importance, (Joseph Andras est un pseudonyme, le domaine littéraire en regorge…), la calomnie s’insinue, comme dans le Barbier de Séville. Nous aurions affaire à une imposture, une nouvelle « ajaritude » (Emile Ajar fut le prête-nom de Romain Gary, qui roula ainsi les Goncourt en obtenant une seconde fois leur prix en 1975 pour « la Vie devant soi »).
Misère de la critique littéraire, incapable de faire entendre une voix « experte », capable de tordre le cou à une telle ineptie.
Profitons-en pour saluer ici, le dernier géant de la critique encore en vie, Jean-Pierre Richard, né en 1922, auteur de « littérature et sensations » (quel titre !), en 1954, de « poésie et profondeur », en 1955 , mais également d’ouvrages plus récents, chez verdier, dans lesquels il se penche sur des auteurs contemporains comme Marie Desplechins.

Faute d’arbitres avertis, la presse verse dans le petit sensationnel, le Monde publie ainsi, jeudi 2 juin, une prétendue enquête qui consiste à faire le tour de la rumeur pour constater, sans vraiment l’avouer, qu’il s’agit d’un tuyau crevé. Non, ce Joseph Andras ne cache pas un autre auteur tel Khamed Daoud, mais feignons d’y croire un peu, dans notre société faisandée où il faut bien vendre du papier.
Et voici que Pierre Assouline en re-gazouille une couche, sur twitter, toujours le jeudi 2 juin : « un coup de Tarnac derrière le mystère Joseph Andras ? Un collectif radical écrivant, pourrait être derrière l’auteur de « de nos frères blessés ».
Tout cela relève de la cabale des ignorants. Joseh Andras , qui ne veut rien lâcher de spontané, s’interdit de parler à la radio ou à la télévision. Chacun est en droit d’ironiser sur cette forme de constipation mentale. Pour autant, cela n’autorise personne à propager un délire sur-interprétatif. Joseph Andras, de surcroît, refuse toute conversation avec un représentant d’une presse écrite, ocultée, à ses yeux, par les capitaux. Point de vue difficilement contestable, tant des capitaines voire des chevaliers d’industrie ont fait main basse sur les journaux. Le romancier n’accepte donc que les interviews par courriels, ce qui nourrit bien des suspicions en retour.
Il se trouve que votre serviteur a parlé avec Jospeh Andras, à l’occasion d’un entretien pour Médiapart, mis en ligne mercredi 1er juin. Je fus le seul à être traité en interlocuteur, c’est-à-dire en « passeur », et non en simple boîte aux lettres. Nous nous sommes entretenus plus d’une fois au téléphone, et je peux ici affirmer, en connaissance de cause, qu’il s’agit d’une personne singulière, identifiable : Joseph Andras à l’oral est « raccord » avec le Joseph Andras à l’écrit. Alors, lisons ce qu’il a écrit de mieux jusqu’ici : « De nos frères blessés », aux éditions Acte Sud.  »

Eh ben, dites donc !

Alors là, j’ai envie de dire deux-trois trucs. Un, c’est que, lorsque j’ai lu le billet que Pierre Assouline a consacré au refus du Goncourt par Andras, je n’ai pas décelé une quelconque allusion au fait que ce serait Kamel Daoud qui aurait en réalité écrit le livre. Non. Pierre Assouline regrettait le refus du jeune homme en s’étonnant qu’un être si jeune soit si arrogant, et en relevant le mystère qui régnait sur son identité, point.

c’est dans les tweets que Pierre Assouline a commencé à faire planer un sérieux doute sur la paternité de l’ouvrage. Il a toujours employé le conditionnel, et s’il se faisait le relais d’une rumeur (il disait d’ailleurs que c’était une rumeur), on ne peut cependant lui attribuer, tout de go comme cela, la paternité de la rumeur. Après tout, de bonne foi, Pierre Assouline a pu ajouter foi à des rumeurs qu’il a entendues…

D’autant que, si Antoine Perraus a personnellement rencontré Joseph Andras, bibi j’ai personnellement, ici même, interpellé notre hôte sur la question : était-il suffisamment vexé pour vouloir du mal au jeune homme ? Certes, si la rumeur était vrai, les vertus de Joseph Andras pâlissaient rudement. M’enfin il n’empêche que le bouquin était bon, et que la « misère critique » que dénonce Perraud ne l’est pas tant que cela, miséreuse, puisque justement le livre a emporté le prix…

En fait, j’ai envie de dire à Antoine Perraud ce que j’ai dit à Pierre Assouline. A savoir que sans procès équitable et productions de preuves, tous les propos relèvent un tant soit peu de la calomnie.

Si Antoine Perraud n’a d’autres preuves que celles qu’il avance dans son billet, alors à son tour il calomnie Pierre Assouline, ou au moins il lui dénie la présomption d’innocence. Imaginons que Pierre Assouline prouve qu’il a entendu l’histoire de Tarnac au restaurant, avec tel ou tel, et qu’il ait simplement décidé de la relayer, en toute bonne foi. L’accusation de Perraud, à savoir que c’est SCIEMMENT qu’Assouline fait courir les bruits, pour se « réparer », tombe…

Sans compter que bibi, je lui ai carrément posé la question, et qu’il m’a calmement répondu que non, il n’était pas vexé…

Bref.

Et qui nous dit qu’Antoine Perraud n’est pas berné à son tour ? Le voici si flatté d’avoir été le seul interlocuteur autorisé par Andras qu’il ne peut même soupçonner ce dernier de perdurer dans son attitude mystérieuse… Parce qu’en fait, il y aurait bien un loup…

Bon, alors je me répète. Tant qu’on n’aura pas étayé les dires de l’un, ou de l’autre, par des preuves, tout restera incertain. Mais je maintiens que les tweets assouliniens étaient rédigés au conditionnel et avec points d’interrogations, alors que les accusations pernaudiennes sont à l’indicatif.

Par contre, là où les deux hommes sont carrément à l ‘opposé, et chic ! C’est quelque chose de facilement vérifiable, c’est sur la posture d’Andras face aux médias. Assouline nous a dit qu’ayant beau avoir refusé le prix, l’auteur ne s’en répandait pas moins dans les médias. Perraus affirme précisément l’inverse ! Là, nous pourrions vérifier nous-mêmes, non ?

Bon je vous laisse, je suis un peu amusée par toute cette affaire, assez découragée par l’aplomb des uns et des autres, et je m’en vais finir par l’acheter, moi, ce bouquin si ça continue. Comme ça je m’en ferais la critique à ma propre aune, en laissant les remugles du marigot à nos deux représentants…

Et ça me fait penser à Etienne et Jules, du si regretté Roger Riffard. Vous connaissez ?

 

Un jour, mon pote Etienne
Me dit sans préambule
Il faut que j' t'entretienne
De notre copain Jules

Certes, reprit Etienne
J'éprouve un grand scrupule
Et même de la gêne
A parler mal de Jules

Le diable, ajoute Etienne,
Me change en libellule
Si j'ai la moindre haine
Contre notre ami Jules

Mais voilà, fit Etienne,
Le secret qui me brûle
Prends-en bien de la graine
Et méfie-toi de Jules

Et d' la bouche d'Etienne
J'appris quelle crapule
Rôdait comme une hyène
Dans le cœur noir de Jules

Mais v'là que je trouve Jules
Place de la Madeleine
Trois jours après que j'eus le
Plaisir d'entendre Etienne

Du coup, j'apprends par Jules
Autant qu'il m'en souvienne
Quel vilain bruit circule
Sur le compte d'Etienne

Depuis lors, je stipule
Qu'on distingue avec peine
Le contenu d'un Jules
De celui d'un Etienne
Le contenu d'un Jules
De celui d'un Etienne

 

(remplacer Jules par Antoine, et Etienne par Pierre !) http://www.deezer.com/search/des%20jules%20et%20des%20%C3%A9tienne

Libre villanelle

Ca s'affolait dans la grande salle : j'y suis allée voir. Grands battements d'ailes, coups sourds de l'oiseau étourdi contre les vitres et les meubles... Et présence de deux Assassins, ce qui n'arrangeait rien aux affaires de l'oiseau... 

Non, ne vous récriez pas : ce sont vraiment deux assassins que ces deux-là, j'ai nommé le Gros Chat Roux et le Chien Fidèle.  En ce moment, dès sorti dans le jardin, Rouky n'a que ses griffes à cran d'arrêt à tendre, et il chope musaraignes et oisillons, à foison, et hier, un jeune loir. Quant à Ti'Punch, n'est-ce pas lui qui, en février, a tué un tout jeune agneau, comme ça, par plaisir ? S'il avait été  vraiment chien de berger, un tel meurtre lui aurait valu un coup de fusil, dans la grange. Mais, soupir, nous sommes contre la peine de mort, et avons changé le jugement en simple (mais formelle) interdiction de pré, à perpétuité...

Là, l'oiseau égaré dans la maison n'en menait pas large : le gros chat roux était déjà monté sur le dossier du  divan, et, fixant de ses yeux verts et cruels l'emplumé, il calculait son élan... Quant au chien, à la porte d'entrée, il suivait toute la scène en gémissant un peu, par convoitise de ce qui allait se passer...

Je suis donc intervenue, tel dieu retenant la main d'Abraham. J'ai crié après le chat, qui en a sursauté de surprise et a filé sans plus demander son reste. Intimé l'ordre au chien de sortir de la pièce. Ouvert en grand les trois fenêtres.

L'oiseau s'était réfugié derrière le secrétaire : j'ai poussé le meuble, pour lui permettre de passer plus facilement, et suis à mon tour sortie de la salle, en fermant derrière moi la porte vitrée. S'il n'était pas blessé, il saurait bien sortir tout seul. Sinon, il serait toujours temps de le prendre dans mes mains, et de tenter de voir ce qui n'allait pas...

Cinq minutes plus tard, je suis donc revenue dans la pièce. Plus personne derrière le secrétaire : très bien. Je me suis retournée : l'oiseau était là, posé sur la table basse, parfaitement immobile.

C'était une merlette, une jeune, au plumage brun. Tétanisée de frayeur, sans doute, et mes cris n'avaient sûrement rien arrangé... Je me suis adressée à elle le plus doucement que je le pouvais : "Oiseau, tu es libre, tu peux t'envoler maintenant". 

La merlette ne bougeait pas, sauf son oeil, qui me dévisageait. Avez-vous déjà été regardé par un oiseau ?  Ou plutôt, avez-vous déjà échangé un regard avec un oiseau ? C'est une expérience fascinante, à mon sens, car le lien, si improbable, si indéfini, si peu compréhensible de part et d'autre, existe bel et bien. Nous nous sommes vraiment regardées, la merlette et moi...

Elle restait toujours immobile, et je suis une humaine : j'ai avancé la main, toujours en parlant doucement, et le coeur s'est mis à me battre. Allais-je réussir ? Derrière nous, les trois fenêtres étaient largement ouvertes. L'oiseau allait-il me laisser le toucher ? Le prendre ?

Je voyais, dans la glace qui recouvre la table basse, le reflet compact de la merlette, et l'ombre de ma main qui avançait vers elle...

PFFFRRRTTT...

A la dernière seconde, l'oiseau s'est envolé.

Soupir. La mansuétude n'est pas toujours récompensée...

(Je me suis consolée avec Berlioz : cliquer ici !)

 

Merle noir rele 1p

 

 

 

 

 

le courage des oiseaux

Je pense au courage des oiseaux : la pluie de ce printemps, froide, épaisse, et continue, ne doit pas leur rendre la vie plus facile que ça. Et pourtant, dès qu'ils le peuvent, sans attendre que les arbres, l'herbe, le jardin, aient eu le temps de s'essuyer, dès la dernière goutte tombée et en attendant la prochaine averse, les voilà qui lancent leurs appels et leurs chants, au-dessus du jardin détrempé et des flaques d'eau encore stagnantes.

Les plantations, elles, n'ont pas cette volonté : les roses trémières, encore à l'état de projet, vont avoir du mal avec la moisissure qui plombe déjà  les larges feuilles. Quant au potager...

Une dizaine de départements, nous dit la météo, sont en alerte (pendant qu'ailleurs dans le monde, une terrible sécheresse s'abat, notamment sur l'Inde, et que la famine s'installe à Madagascar), et pendant que je vous écris,  en face de moi, une longue dégoulinure humide vient endeuiller le mur - pendant l'averse, il nous faut mettre un tupperware en-dessous de la fuite, endémique à cet endroit de la toiture (une dizaine de traces  sombres, autour du recoin où mon bureau est installé, en témoigne, et même si les dégâts des eaux ne sont pas très graves, se réduisant à quelques traces, le "ploc-ploc" de la goutte tombant dans le récipient n'est pas sympathique à mes oreilles) :  Clopin combat cette fuite  avec la même vaillance que les oiseaux, certes, mais lui est obligé d'attendre "que ça s'arrête" avant d'envisager la moindre intervention.

A chaque fois, on tente de se rassurer : cela arrivait aussi, avant le dérèglement climatique... Mais bof, cette pensée-là ne m'aide pas beaucoup.

Je préfère tendre l'oreille au chant des oiseaux : tant qu'eux tiennent le coup, n'est-ce pas ?

 

les butins de Clopin

Eh oui, Clopin est un voleur ! Tout apiculteur l'est un peu, puisqu'il s'agit de piquer aux abeilles (tout aussi butineuses que lui) le miel que ces admirables insectes confectionnent... Mais Clopin est AUSSI un mec de l'image : alors, non content de faire dans l'apicole, il fait aussi dans le reportage sur mesure... Et ça donne un clip-clap qui vient enrichir la caverne d'Ali-Beaubec, là où est entreposé le butin de Beaubec Productions  !

        

En fait, les images étaient engrangées depuis l'été dernier, à ma demande. Je voulais les illustrer par une musique entendue sur France Musique l'année dernière, mais je n'ai trouvé personne pour me donner les renseignements nécessaires (et pourtant, je suis allée jusqu'à téléphoner 6 fois aux services des auditeurs de france mu, et j'ai envoyé une lettre avec une enveloppe timbrée à mon adresse : peine perdue ! Soupir)

Et puis, cette année, j'ai écouté  une nouvelle musique (moi aussi je butine !)  qui m'a fait penser aux rushes inemployés : on a essayé avec Clopin et bingo ! Ca fonctionne !

Je dédie donc le clip-clap à deux entités :

- à Jacques CHESNEL, dont la passion pour le jazz ne s'est jamais démentie

- aux abeilles butineuses, qui ont sacrément le moral, puisqu'elles continuent à survivre aux lobbies de l'agro-chimie, et aux "élus républicains" qui ne butinent pas, eux, mais qui lèchent le cul  des lobbies sus-nommés  (voir la décision du Sénat de continuer à autoriser l'utilisation du round-up de Monsanto...)

Et pour les lecteurs de ce blog, ils auront bien compris qu'en butinant ces images, ce n'est pas seulement un peu de miel que Clopin aura mis en pot. Il s'agit aussi de ces belles fins d'après-midi d'été, où je prépare le repas du soir en écoutant Onfray, sur France Culture, me parler philosophie, pendant que les abeilles récupèrent le miel resté au fond des hausses, après la récolte. Un de ces moments hédonistes, aussi parfait qu'une alvéole emplie d'ambroisie, qui éclairent parfois, pendant quelques secondes trop vite envolées, le cours de nos vies...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

la Grève...

Demain je vais faire grève... Mais. Ben oui, il y a un "mais" : et  ce n'est pas celui de 68...

Je m'explique. J'étais trop jeune en 68, mais cependant, quand je repense aux photos de ce temps-là, c'est la bouille réjouissante de Cohn-Bendit narguant un CRS que je revois. Je crois que tous se souviennent de ces photos là :

 

Sindaco1

Dany mai 1968

 

Ah, certes, il devait être être bien agaçant, ce jeune homme... Mais on ne peut lui retirer une chose : il s'amusait. Il était narquois, provocateur, insupportable... Et rigolard...

Eh bien, vous pouvez toujours chercher dans les cortèges d'aujourd'hui : ça ne rigole plus. Du tout.

 

 

 

 

Réhabilitation du capitaine France

Enfin ! sur le blog du "Fou de Proust", Patrice Louis, j'apprends qu'Anatole France a été cité par Xavier Dolan, à Cannes... Commencerait-on à réhabiliter cet écrivain ? J'en serais enchantée, parce que je trouve qu'on la fort injustement traité, celui-là.

D'ailleurs, il y a dix ans, je lui avais écrit une lettre, qui est passé sur le site "bibliobs" du Nouvel Obs. Du coup, ce matin, je suis allée la relire : eh bien, je pense toujours la même chose... Voici ce que j'avais écrit :

 

Cher Maître (je n’ose vous donner du « Cher Anatole » )

Vous êtes mort, bien mort, on ne peut plus mort. J'en suis si désolée pour vous que je vais vous dévoiler le secret de votre trépas, si les anges ne l'ont déjà colporté jusqu'à vos oreilles à l'aide de leurs harpes célestes: ce sont ces salopards de surréalistes qui ont jeté, encore et encore, des pelletées d'outrages sur votre tombe illustre.

Pourtant, votre repos éternel avait bien commencé: vos funérailles furent nationales, et grandioses. On n'avait pas vu ça depuis Victor Hugo. Et de votre vivant, vous aviez récolté maintes couronnes... Mais voilà. Wikipédia (nous dirons que c'est le nom d'un célèbre documentaliste du 21è siècle, pas toujours fiable au demeurant) est formel à votre sujet:

après sa mort, il [vous-même, donc, ndlr] est la cible d'un pamphlet des surréalistes, "Un cadavre qui ne ménage personne", auquel participe Aragon avec un texte intitulé: "Avez vous déjà giflé un mort?" dans lequel il écrit: “Je tiens tout admirateur [de vous, donc] pour un être dégradé. ”Pour lui, "il" est un exécrable histrion de l'esprit, représentant de l'ignominie française. Gide le juge un écrivain “sans inquiétude” qu'“on épuise du premier coup.” Sa réputation devint ainsi celle d'un écrivain officiel au style classique et superficiel, auteur raisonnable et conciliant, complaisant et satisfait, voir niais».

Allez ne pas vous retourner dans votre tombe, après ça : de quoi vous gâcher l'au-delà, à coup sûr, et raréfier les visites que vous pourriez y recevoir. Et pourtant, je vous le dis tout net, vous êtes à mon sens la victime d'une injustice flagrante et qu'il faudrait réparer.

Comment en suis-je arrivée à cette conclusion, alors que d'autres illustres oubliés, comme Paul de Kock tenez,  ou Novalis, me laissent indifférente? Par hasard, bien sûr, il fait généralement bien les choses. Figurez-vous, cher Anatole (allez, je saute le pas), que j'ai eu la chance de tomber sur vos ouvrages, lors d'une expédition dans un grenier, au moment précis où mon goût se formait, presque malgré moi, et où j'acquérais une sorte de petite conscience personnelle, qui me faisait douter du «littérairement correct» de l'époque et me fier à mon propre plaisir. Et du plaisir, vous m'en avez donné. Vous m'en donnez encore. Vous êtes un des rares qui m'accompagnez depuis toujours, depuis mes seize ans, et que je sens toujours plus proche de moi.

Bien plus: je n'arrive pas à haïr votre langue, dite «classique» (vous étiez nourri de grec) mais que je trouve surtout limpide, coulante, légère, ironique, belle en un mot. Non que les âpres écrivains de ma jeunesse, à la recherche du degré zéro de l'écriture aient été dénués de toute pertinence et de tout talent. Je pouvais me plonger dans un Butor, comme en apnée et déambuler, muette d'admiration, dans les entrelacs mentaux d'un Roland Barthes... Mais votre langue à vous, mon cher Anatole, est cependant une de mes préférées.

Vous, vous étiez un grand'père malicieux et tendre, aux pieds duquel je pouvais toujours venir déposer mes petits chagrins, et m'en bien trouver, réconfortée et divertie, dans le plus noble sens du terme. J'ouvrais votre «Thaïs», qui commence par un ironique désert... tout peuplé -d'anachorètes il est vrai. Je souriais aux désirs de Jean Servien, je me réchauffais à la rôtisserie de la reine Pédauque et trouvais que, ma foi, votre bibliothèque où les chats passent parmi les livres était un endroit où j'aurais bien aimé vivre. Du diable si je ne le pense pas encore...

Quand j'ai grandi un peu, il le faut bien, et vous, l'auteur du si charmant «Livre de mon ami» qui vaut bien tous les Pagnol -et de loin-, le savez mieux que quiconque, j'ai commencé à avoir la plume qui frétillait. Si personne n'osait s'en moquer ouvertement devant moi, l'indifférence et l'incrédulité ont cependant accompagné mes premiers pas. J'ai passé outre, en pensant à vous.

Après tout, serait-ce un crime aussi grand que celui de Sylvestre Bonnard, que je le commettrais quand même. Plus personne n'écrit, plus personne ne peut écrire comme cela, me dit-on. Et pourquoi, au fait? Ma manie, puisque c'en est une, ne fait de mal à personne. Et si elle peut vous apaiser, vous tout malmené dans votre tombeau, et vous dire que bien sûr, on peut vous lire encore, et en tirer grand profit, au point d'espérer manier un jour une langue aussi pure que la vôtre, eh bien, ce serait déjà cela de pris. Je n'arrive pas, en effet, à vous mépriser, ou à vous refuser mon admiration. Et moi qui suis bien peu nationaliste, je vous avoue que c'est surtout grâce à vous, et à votre nom, que j'accepte de me sentir française, cher Anatole!

Clopine Trouillefou

 

affolement angoisse anxiété épouvante crainte effroi frousse horreur trouille vertige

J'ai souvent eu peur, dans ma vie. Petite, je craignais à la fois les monstres et les insectes, les échelles trop raides et le loquet impossible à rouvrir de la porte des cabinets. Grande, le vertige ne m'a pas quittée, me bloquant dans l'escalier de la tour de Delft ou sur la  promenade au bord de la falaise d'Etretat. Mais j'ai cependant appris à distinguer les peurs vraies des fausses, les paniques des chimères et des appréhensions.

Et il est des peurs qu'il est assez facile de vaincre, de toute façon : celles qui, de tout temps nécessaires à la survie de l'espèce, sont causées par un danger réel ; il suffit d'ôter le danger, et la peur disparaît. La difficulté réside certes dans ce "il suffit", parfois malcommode à atteindre certes, mais le soulagement, lui, est facilement vérifiable.

Mais voilà que mes peurs changent, se modifient. Je n'arrive plus à identifier correctement, me semble-t-il, le danger. Il n'a plus une forme de gouffre, ou n'apparaît plus comme une énorme vague, à l'horizon. Il s'insinue désormais partout, dans le voile d'une jeune anglaise black de 17 ans, à la religion ostentatoire, dans le graffiti raciste de la cage d'escalier du parking, dans le sac posé sur le quai de la gare...

Plus cela va, plus c'est contre cette peur-là, et ce qu'elle peut engendrer, qu'il me faut me battre. Et je constate, là encore avec effroi, que la peur insidieuse ne peut laisser place à un franc soulagement : il reste toujours une ombre, celle de Charlie, et de tous les autres, derrière l'épaule...

En fait, on ne vainc pas cette nouvelle forme de peur : tout au plus peut-on arriver à l'effriter. C'est la seule manière de la combattre. Ne pas la nier, ne pas chercher à l'affronter directement, mais la démonter petit morceau par petit morceau, la réduire à chaque pas d'un infime lambeau. La circonscrire...

Effriter la peur, de cette façon-là, de cette seule façon-là : travail aussi minutieux que patient. Mais c'est le prix à payer de la violence éternelle...

 

 

Expérience contradictoire

Photos

La preuve est là : les gens ne voyagent plus pour regarder, mais pour prendre des photos... L' énorme erreur  que j'avais donc commise, en suggérant à Clopin une visite à Giverny en pleine Pentecôte, c'est-à-dire là où l'affluence est, de toute l'année, une des plus fortes, était donc source d'une expérience  pleine d'enseignement  : plonger  ce jour-là, en 2016, un photographe sur les terres de Monet (Money ?) , c'était l'exposer non seulement à une marée humaine, mais  en plus une armée humaine armée d'appareils photos.

De quoi être narquoise, moi qui n'ai JAMAIS pris de photos : pour une fois, le regard singulier était de mon côté, et non du sien. Partout où il braquait son appareil,  il était précédé  !  Aucune chance, apparemment, d'ajouter quoi que ce soit de pertinent ou de personnel  à ce raz-de marée d'images, toutes les mêmes, toutes tentatives de capturer quelque chose de l'ordre de l'universel : le jardin d'un peintre...

Les prospectus nous demandaient de "nous projeter" à l'époque du peintre, quand sa grande famille entrait et sortait de la maison verte, se répandait dans les jardins, pendant que la pièce d'eau prenait forme : mais comment faire, bon sang, quand le site est si peuplé qu'il faut toute la beauté des fleurs, le sineux des allées, les oiseaux présents, pour conserver une toute petite apparence de paix ? Certes, à Giverny, les enfants sont moins excités qu'au parc Astérix, et disons que tous ressentent la nécessité d'éviter les papiers gras par terre, les interjections sur fond de bonnes blagues - tous, ici, même se pressant, inévitables, sur le petit pont japonais, tentent de faire sourire leur âme...

Mais tous aussi cliquent à perdre haleine...

 

Images

 

Qu'allait donc faire Clopin ici ? Il existe une toile de Jérôme Bosch, "l'enfer musical" - nous n'étions pas loin, ici, d'une sorte de paradoxal "enfer des images". Pardoxal, parce que malgré tout, le jardin de Giverny est irréductible, et garde sa beaué - mais qu'est-ce que Clopin allait bien pouvoir faire de tout cela ?

J'eus la réponse assez rapidement :

Lire la suite

Ceci est destiné à "contourner" la modération assoulinienne

Que ceux qui ne comprendraient rien à ce qui va suivre se rassurent : tout va bien, et l'article du j our concerne une discussion qui, en réalité, se passe ailleurs. Je poste ici uniquement pour contourner une modération eu peu trop étrange dans ses atermoiements !

 

Et pour ceux qui suivent :

 

Je vais parler d’autre chose, parce que le billet de notre hôte me gêne : il y a dedans du « ressentiment de juré Goncourt qui a mouillé la chemise pour une oeuvre et qui voit dédaignée, à travers le refus de son prix, l’aimable corporation à laquelle il appartient désormais », et puis plus je vieillis, moins je supporte qu’on reproche à quelqu’un d’être jeune. Ce n’est pas un argument : Adam Nemo (ou Joseph Andras) ne semble pas poussé par cette jeunesse, mais par d’autres considérations. Lui retourner donc l’arrogance (qui serait l’apanage de la jeunesse) est donc un procès d’intention. Perso, j’ai de plus en plus de bienveillance envers les jeunes gens, garçons et filles, parce que mon coeur se serre souvent en pensant à ce que ma génération leur laisse en héritage : des illusions désillusionnées, et un monde triste où la terreur et le fanatisme rôde, sur fond de montée d’extrême-droite. Bon, d’un autre côté, je ne suis pas au courant de tout, hein, m’enfin avec la photo et le pseudo, et le nom de l’éditeur, le secret de l’identité me semble déjà compromis…

Pas perdus (pour tout le monde...)

Nous avions arpenté la ville en tout sens, monté et descendu des rues larges ou étroites, taggées à mort et colorées à souhait,  pris des bus (étonnamment peu chers) vers des villages lointains adossés aux collines chères à Pagnol, parcouru la longue corniche qui ceinture les beaux-quartiers, avions maté (pas d'autre terme) les candides baigneurs des calanques reculées, nous nous étions intéressés à l' histoire grecque et romaine de la cité, à ses vestiges, aux immeubles des quartiers vidés et détruits par Hitler, à ses musées accueillants et diserts, bref, du tourisme, quoi... Mais au fur et à mesure que les jours passaient, j'aimais de plus en plus la Ville, et je m'y sentais mieux.

 

Marins

D'abord par comparaison : contrairement à Paris, où l'argent  s'étale, indécent et boursouflé, dans des vitrines luxueuses  où les étiquettes donnent le vertige, Marseille, elle, sait rester populaire et modeste. Conséquence ou cause de la présence, en plein centre ville, de "vrais gens", des "gens de peu", de ce peuple que tant d'autres villes exilent à leurs périphéries ? Je ne sais, mais en tout cas,  si  je n'ai pas vu, à Marseille, de trop somptueux édifices (à part la Bonne-Mère, of course !) comme Paris en regorge,  j'en ai senti la chaleur humaine, omniprésente,  qui compensait la brutalité du mistral, et que je n'avais jamais ressentie ainsi, au travers de la sociabilité compliquée, bougonne et distante de mon froid pays de Bray...

En vérité, nous étions ici entourés de prévenances et d'attentions. Il suffisait de prendre un petit-déjeuner dans un café arabe de Belsunce, parmi ces hommes seuls dont la présence m'avait tant frappée à mon arrivée, et nous recevions de larges sourires qu'on sentait sincères, et une reconnaissance spontanée et immédiate, comme si nous étions nous aussi d'ici... Le moindre pot, dans un bar, pouvait tourner à une discussion paisible et aimable autour de n'importe quel sujet. Je me souviens d'un patron de bar, chrétien époux d'une musulmane, qui opposait à notre athéisme l'argument commun : "sans religion, pas de valeur morale, et comment dans ce cas contenir l'égoïsme, la cupidité, le chaos ?", sans savoir qu'il débattait là d'un sujet jadis exploré - et résolu - par un Baruch Spinoza passible, pour cela, d'un sévère hérem... Que cette ville était donc aimable !

Enfants

Et puis il y a eu cette soirée dans le quartier -jeune et branché- de la Plaine, où j'ai eu le grand plaisir de retrouver une "vieille" copine de ouèbe, Frosine à la quarantaine aussi intacte que sa trentaine, où je l'avais rencontrée. Nous avons dîné, avec elle et sa compagne,  dans un bon restaurant indien, mais nous avions beaucoup à nous dire, et peu de temps : la gastronomie en a souffert, car du coup, pressée par le besoin d'échanger, je n'ai pas apprécié à leur juste valeur la multitude de plats qui nous étaient servis...

Qu'importait, puisque  j'avais enfin compris que le trésor de cette ville, c'était ses habitants. Jusque dans notre petit hôtel-auberge de jeunesse, ce "Vertigo" perché tout en haut de la rue des Petites Maries, où  les rencontres se multipliaient. L'organisation de ce modeste établissement nécessite la présence constante d'un agent d'accueil. Ils sont donc trois ou quatre à se relayer jour et nuit, et tous (notamment le plus présent et le plus constant d'entre eux, j'ai nommé le jeune Sébastien) absolument serviables et charmants. Sébastien était sollicité sans arrêt par les multiples arrivées et départs, jonglait entre l'anglais, l'allemand, l'espagnol et le français, guidait les jeunes filles (ah ! Quel plaisir de croiser des voyageuses solitaires, organisées et décidées...) dans le dédale des chambres, indiquait le meilleur  des couscous du quartier, intitulé "Sur le Pouce", où l'on vous servait en 10 minutes  une assiette copieuse à souhait, pour un prix défiant toute concurrence... J'ai rarement rencontré un jeune homme plus à l'aise dans ses fonctions, qu'il adorait visiblement. Il s'occupait aussi du  petit bar, où l'on peut boire la bière et le vin rosé  "les moins chers de Marseille"... Je m'y attardais souvent, le soir, quand l'activité commençait enfin à se ralentir, et nous avons beaucoup  discuté Sébastien et moi, de tout, de Marseille, de Gaudin et des bobos, des nuits debout et des petits matins,  de nous-mêmes enfin... Les barrières qui auraient pu exister (- l'âge, le sexe, le statut-) n'avaient même pas eu le temps d'être construites que nous avions, lui et moi, sauté par-dessus tels deux cabris ! Et l'embrassade d'adieu était sincèrement amicale...

 

(la suite à plus tard)

 

 

intérieur jour...

 Si l'adhésion de Clopin  au Mucem a été immédiate, et s'est traduite par une cascade de prise de vues, comme celles-ci :

 

Ombres mucem 2

 

 Algerie ferries

 

Mon sentiment, lui, a été beaucoup plus mitigé : certes, ce musée flottant, caché  derrière le fort Saint-Jeanet   ne se découvrant  qu'au dernier moment, relié à la terre par de simples  passerelles,   comme  un bateau  tout prêt à rompre ses amarres en (re)partance pour l'Asie Mineure, est une prouesse architecturale, je le veux bien ... Mais c'est aussi un simple parallélépipède rectangle, noir,  massif,   abrupt, qui, par résonance, m'évoquait la kaaba de la Mecque. Et si le jeu infini avec la lumière et les couleurs de l'eau, du ciel, des pierres blondes du port et du ferry pointant vers l'Algérie  enivrait Clopin, j'y voyais, moi,  les ombres multiples et protéiformes de toutes les femmes soumises, derrière les moucharabiehs de l'enfermement. D'où léger malaise : certes, s'il faut parler de "culture méditerranéenne", sans doute tous ces éléments sont à la fois pertinents et "identitaires" -  et, en plein été, le patio ombragé doit être un vrai lieu de délices et de soulagement,  un recours contre l'intensité de la chaleur et des couleurs, mais cependant, je me sentais comme oppressée, mise en cage...

L'exposition permanente ne m'a pas convaincue non plus. Oh, on comprenait bien le propos : rassembler en un seul lieu de multiples exemples, géographiques, historiques, sociologiques,  des trois fondamentaux méditerranéens :  les céréales, le vin, l'olive... Mais, pour moi, rien ne surgissait de cette sorte  d'entassement hétéroclite  qui faisait voisiner une hutte grecque et un sarcloir marocain, une roue à aubes du troisième siècle et une moderne noria, rien qui aurait pu  améliorer ma compréhension de ce monde-ci... Heureusement, les expositions temporaires : Picasso et les objets du quotidien (la période Vallauris, surtout) et le colonialisme du 19è siècle en Algérie (via les cartes établies par les colons, et les documents qui étalaient, dans une splendide naïveté contente d'elle-même, les instruments de la domination française) ont, elles, tenu leurs promesses. Rien que pour elles,  j'étais contente d'être venue à Marseille...

Et j'allais l'être de plus en plus, au fur et à mesure de notre séjour. La visite au Mucem a été comme un palier, une marche qu'il m'avait fallu enjamber avant de pénétrer plus avant dans la ville la plus méditérranéenne que j'ai jamais visitée : et toutes les impressions négatives de mes premiers pas allaient bientôt céder la place à une sorte de sentiment très doux, un peu tendre même, qui allait enrober mon passage dans ces lieux...

 

(la suite à plus tard !)

 

extérieurs jours...

Comment tenter d'appréhender l'âme d'une ville, alors qu'on n'y est que de passage, en touriste, "extérieur" à ce qui s'y passe ? Marseille m'était tout d'abord  apparue figée, presque désoeuvrée : en vain j'avais cherché, autour du touristique vieux-port, une trace de l'ancienne activité dont témoignaient des films débordants de vie, comme si, depuis l'arrivée des premiers Phocéens, tout un peuple s'était mis au travail, avec constance, pendant des siècles,  avec les mêmes frétillements que les poissons dorés dans les paniers d'osier, désormais bien modestes...    Certes, les "points de vue" offerts aux touristes  restaient  impressionnants : la montée à Notre-Dame de la Garde, l'excursion aux îles du Frioul, le quartier du Panier ; mais cela suffisait-il ?

Rue marseille

Où s'était donc réfugié le coeur de cette ville ? Malgré tout son charme, ce n'était pas dans l'oasis de la Vieille Charité, halte splendide :

 

Vieille charite

Et je pestais contre mon statut, qui semblait m'empêcher de comprendre ce que je voyais. Oh, d'un autre côté, je ne comprenais que fort bien, que trop : tenez, le Vieux Port... Eh bien, si vous mettiez la pointe d'un compas au centre du bassin, et que vous traciez ainsi un cercle de 2 km de rayon tout autour, et que vous lâchiez dessus la horde touristique, prendriez-vous la décision adoptée (car il y a forcément eu une décision municipale, à mon sens) qui consistait à ôter à tous ces braves piétons touristiques la possibilité de satisfaire leurs besoins naturels, autrement dit de vider leurs vessies ?

 

Il n'y a aucune toilette publique dans le rayon sus-décrit. Pire encore : les Musées qui jouxtent la Mairie  et la Chambre de Commerce n'en offrent point non plus, ni aucun édifice public  ! Nous voici donc dans le pays des 36 000 normes, et des "bâtiments recevant du public", ailleurs submergés d'injonctions comme d'aménager ici des passages standardisés, là des toilettes pour handicapés, semblent ici curieusement libres de ne point offrir un service pourtant indispensable... Il reste les cafés, mais ces derniers ont  le soin d'afficher, à côté des précieux "petits endroits", la mention que ces derniers sont réservés à la clientèle (payante). Qui a décidé cela ? Le lobby des commerçants marseillais ? A deux euros, premier prix pour un café, cela peut effectivement se concevoir. Mais cela laisse l'impression d'un "racket à la vessie touristique" qui, pour peu onéreux qu'il soit, n'en est pas moins parfaitement désagréable...

Heureusement, de ce point de vue, tout s'arrange dès qu'on quitte la proximité immédiate du vieux bassin. Sans aller bien loin, juste au bout du bout du Port, on accède au luxueux Mucem. Et là, si les commodités sont parfaitement accessibles, elles en deviennent du coup complètement accessoires. Et je me rends compte, en écrivant, de l'iconoclastie qui consiste à parler de ce musée flottant en commençant par là !!!

Qu'il suffise donc que je vous dise que c'est là, pour la première fois, que j'ai cru rencontrer la Ville. Dans ce Mucem flambant neuf, symbole de l'année 2013 où Marseille fut sacrée capitiale culturelle européenne, et où le virage (irrémédiable ?) fut pris de remplacer l'ancienne image laborieuse de la Ville par cette large "ouverture culturelle" sur la Méditerrannée.

J'y perdis instantanément Clopin, rendu fou par le jeu des ombres et des lumières, admiratif devant les matérieux employés,  l'exploit technique et architectural (même si l'on nous glissa, peu après, que les constructeurs avaient peut-être un peu oublié que l'eau méditerrannéenne est salée, n'est-ce pas, ce que n'aiment guère les visseries et autres boulons....). Mais je fus bien moins vite conquise que lui. En fait, au prime abord, le bâtiment m'apparut tout entier comme contradictoire...

(la suite à plus tard, peut-être cet après-midi ?)

 

Les ombres du mucem

 

Premiers pas

Le quartier de Belsunce est traversé par la "rue longue des Capucins", et tous les noms de rue, ici, attestent de la présence passée d'ordres aussi religieux que catholiques. Mais pourtant, les premiers mots marseillais que j'ai entendus ont bel et bien été "salam aleikoum", et "aleikoum salam" ; les rue étroites, ici, forment un refuge pour des hommes seuls,  solitaires et surveillés (merci Gaudin) Solitaire et surveille

 

- et les commerces de fringues en  gros ou  demi-gros, qui précisent sur leurs devantures "pas de détail", paraissent étrangement inoccupés. Comme un Sentier qui serai silencieux... Le quartier doit son nom à un évêque, qui s'est dévoué pendant la peste de 1720. Faut-il rappeler que cette peste   s'est répandue à cause de l'esprit de lucre des échevins marseillais de l'époque ? Il s'agissait de vendre les étoffes rapportées d'orient par bateau à la Foire de Beaucaire. Pas question d'observer la quarantaine : on falsifia donc la réalité, et 100 000 personnes moururent...

Mes premiers pas marseillais étaient donc un peu  à li'image, (la première image !) de ce quartier, et ce n'était pas la présence, dans l'hôtel-auberge de jeunesse où nous résidions, d'un petit troupeau  de (très) jeunes filles anglaises, noires de peau et de vêtements, qui allait m'égayer. Bon sang. Elles ne portaient pas le niqab, on voyait encore leurs visages  et leurs mains (tapotant sur le clavier de leurs i-phones),mais elles étaient cependant ensevelies (à 15 ans !) sous les draps noirs de l'ostentation religieuse. Je ne suis certes pas violente, et respecte la croyance d'autrui, mais j'avais cependant une folle envie de les secouer, ces filles emmoutonnées, de leur parler de toutes ces femmes qui, au maghreb et ailleurs, se battent pour une liberté qui leur est refusée, vraie liberté qu'on ensevelit tous les jours sous ces étoffes religieuses, qui ne proclament, à mon sens, qu'une seule chose : la soumission... Les adultes encadrantes étaient, elles, habillées comme vous et moi. Je n'ai pas eu le courage d'aller discuter avec elles, et puis mon anglais n'est pas assez fiable - et la culture anglaise, frappée de communautarisme, vaut bien le bon vieux racisme ordinaire et franchouillard de mes compatriotes. Mais ma résignation n'était qu'apparente, car je ne pouvais croiser le regard des jeunes filles en noir sans indignation., de même ai-je  sursauté, en comprenant que la libraire que je voyais avec plaisir dans ce quartier populaire n'était pas ce que je croyais, mais bien une officine islamique... Belsunce, quartier d'hommes immigrés,  solitaires et âgés : je prenais grand soin d'en arpenter les rues en tenant la main de Clopin, en marchant au même rythme  que lui, en tenant une place égale à la sienne dans la rue  : ma manière à moi, bien mesquine et inefficace sans doute, mais quoi d'autre ? D'affirmer ma conviction d'une égalité possible, d'une présence féminine librement revendiquée.

Autant en emportait le vent : car le mistral soufflait, comme il sait souffler et comme je le ressentais pour la première fois de ma vie : des bourrasques froides qui sautaient au visage, qui nous attendaient au détour d'une rue, à l'ombre des murs, jusque sur les passerelles qui menaient au Mucem. Marseille subit cette violence, et ses couleurs contrastées en témoignent. Le passage de la lumière à l'ombre est coupant, absolu, vertical. Même le vieux-port,  désormais consacré uniquement au tourisme, car il s'agit d'une sorte de grand parking à bateaux de plaisance, sans plus de vie que la ronde mécanique de la grande roue foraine qui est censée l'animer, même le vieux-port, où nos pas nous ramenaient sans cesse, me paraissait n'être plus l'abri éternel qui avait accueilli, il y a plus de 2500 ans, les marchands phocéens. IL fallait désormais bien regarder, pour voir un peu de l'animation ouvrière dont avait témoignée tant de films... Marins1

 

(à suivre...)

 

 

Une semaine à Marseille

Voilà, ça y était, j'étais à Marseille.

 

Gare saint charles

 

Et bien étonnée d'y être. Mon ignorance de cette ville était (est toujours, mais un peu moins) abyssale. Et ma présence provenait d'une vieille réflexion de Clopin : nous avons pris l'habitude d'aller, au printemps, passer une semaine sans voiture dans une ville européenne. Je crois que c'est à Lisbonne, comme je m'étonnais du côté "méditerranéen" de cette ville atlantique, que Clopin a pensé qu'il était stupide d'aller découvrir des villes étrangères alors qu'en France même, d'autres cités (dont la deuxième plus grande ville de France) nous étaient inconnues...

 

J'étais curieuse et, je dois le reconnaître, pleine de préjugés. Marseille était pour moi une ville braillarde et négligée, surmontée de la plaie des "quartiers nords" dont un livre comme "la fabrique du monstre" témoignait de la violence sociale. Et Pagnol n'était plus là depuis tant de temps...

 

Rien, évidemment, ne s'est passé comme je l'attendais. Et d'abord, cet immense escalier, baroque et aussi impressionnant, à mes yeux, que le pont Charles de Prague : quelle entrée en matière, non ?

BRAVISSIMO !

 

Samuel GONTIER de TELERAMA, soyez ici publiquement remercié pour votre LETTRE AU CSA, et ce qu'elle révèle, entre autres, des manipulations télévisuelles " par défaut "(omettre de mentionner la place exacte, sur l'échiquier politique ou syndical, des intervenants d'émissions de télévision publiques,  et présenter ainsi un militant pur et dur  FNSEA comme un agriculteur "lambda"). Un grand nombre  des exemples  cités concernent  le monde rural : c'est parfaitement éclairant sur ce qui se passe !

Mon avenir assuré ?

 

D'après un vieux pote, paraît que je vais finir speakerine à FR3 :

 

http://www.beaubecproductions.fr/pages/filmsrealises/journal-de-tournage.html

 

 

Maman ? (dédié à Clopinou...)

Quoi ma mère ?
Qu'est-ce qu'elle a ma  mère  ?
Quelque chose qui ne va pas ?
Elle ne te revient pas ?
Oh je sais que tu n'as rien dit
C'est ton œil que je prends au mot
Souvent un seul regard suffit
Pour vous planter mieux qu'un couteau

Quoi, ma mère  ?
Qu'est-ce qu'elle a ma mère  ?
Si tu veux t'la payer
Viens je rends la monnaie
T'as rien dit tu l'as déjà dit
On n'va pas y passer la nuit
Ma mère  et moi on est d'sortie
On cherchait plutôt des amis

Quoi, ma  mère  ?
Mais qu'est-ce qu'elle a ma mère  ?
Quoi, ma mère  ?
Qu'est-ce qu'elle a ma mère ?

Quoi, ma mère  ?
Qu'est-ce qu'elle a ma mèe  ?
Oui elle a une grand'mère
Oui elle me fait la mère

Elle s'imagine que j'lui dois tout
Sans elle je n'aurais jamais plané
Sans elle je n'vaudrais pas un clou
Ma mère  a bien l'droit de rêver

Quoi, ma mère  ?
Qu'est-ce qu'elle a ma mère  ?
De galères en galères
Elle a fait toutes mes guerres
Chaque nuit blanche, chaque jour sombre
Chaque heure saignée y est ridée
Elle ne m'a pas lâché d'une ombre
Quand j'avais mal, même qu'elle pleurait

Quoi, ma mère  ?
Mais qu'est-ce qu'elle a ma  mère  ?
Quoi, ma mère  ?
Qu'est-ce qu'elle a ma mère  ?

Quoi, ma mère  ?
Qu'est-ce qu'elle a ma  mère ?
Je m'en fous qu'elle soit belle
Au moins elle est fidèle
C'est pas comme une que je connais
Une qui me laisse crever tout seul
Mais je n'veux même pas en parler
Une qui se fout bien de ma  mère.

L'homme aux tricots

Cette nuit, le printemps a commencé. Et j'ai fait le rêve suivant :

 

Une grande salle était en préparation : un marché allait avoir lieu. Et je devais y participer - j'avais des livres à vendre. Je ne sais si c'était des livres que j'avais écrits, des livres qui m'appartenaient ou des livres dont je devais simplement faire commerce : je devais trouver l'endroit où m'installer pour les vendre, c'était cela l'important. D'autant que le premier stand auquel je m'adressais me refoulait. C'était J.D. (l'historien qui intervient dans le documentaire, dans la vraie vie)  qui m'expliquait qu'il n'y avait plus de place, puisque ce stand était celui de l'éducation nationale : je devais en trouver un autre.

J'arrivais alors dans un endroit beaucoup plus humble, où une femme inconnue m'accueillait aimablement : oui, ici, je pourrai m'installer, me disait-elle. Mais, contnuait-elle en soupirant, il ne fallait guère que j'espère vendre  quoi que ce soit, et surtout pas des livres ! L'endroit était consacré à une sorte de "fourre-tout", et les quelques rares  clients venaient surtout pour aheter des légumes, que la femme était d'ailleurs en train d'installer...

Je cherchais cependant l'endroit le mieux placé pour moi, quand "il" entra dans le grand hall bétonné et froid qui servait de cadre à mon rêve. "IL" : j'ai su tout de suite que c'était vers lui que mon rêve me menait. Et c'était une brute. Un homme très grand et très large, dont je n'arrivais pas à saisir le regard, et qui répandait autour de lui une sorte d'onde glacée. Je savais que cet homme avait commis des crimes, et qu'il s'en réjouissait ! Et qu'il n'avait aucune crainte, aucune peur : rien ne lui arriverait, à lui. L'homme s'est installé dans le stand à côté du mien, et a commencé à aligner, sur son comptoir, des pulls. C'était sa couverture, me suis-je dit aussitôt : il fait semblant de vendre des tricots...

Je ne voulais pas de lui : il m'inspirait une répugnance infinie, et je devais le combattre... J'étais en colère, et je devais faire quelque chose. Alors j'ai attrapé la pile de tricots qui attendait son tour, et je suis partie en courant : dans un coin de parking, à côté de la béance d'une ouverture d'escalier, j'ai laissé tomber les tricots par terre : histoire de bien montrer que je n'avais pas peur de lui, et que je méprisais son commerce.

Mais je savais qu'il s'en fichait absolument. C'était pour moi, pour me surveiller, qu'il était venu au marché. Il allait juste s'emparer de cette histoire de tricots pour justifier ce qu'il allait me faire, et qui était horrible, je le savais par avance... J'avançais néanmoins vers lui, quand je me suis retournée  : derrière, dans le coin de parking, une mère et ses enfants contemplaient les pulls et les écharpes étalées par terre. Et une petite fille étendait déjà la main...

J'ai crié "stop ! Ne touche pas à ça !" Mais c'était trop tard. Et me voici en train d'attraper une cagette, de discuter avec la maman pour tenter de lui faire comprendre que ce n'était pas une bonne idée de porter ça - et je ramassais les pulls, les disposais dans la cagette : je savais qu'il fallait que je les rende à  la brute, même si cela ne changeait rien pour mon sort, qui était déjà scellé... La femme n'était pas d'accord, c'était une femme qui ne comprenait ni ce que je disais, ni qui j'étais, elle pensait que les pulls étant par terre sa petite fille avait eu raison d'en prendre un, elle me rejetait car je ne pensais pas comme elle, et moi je me dépêchais, vite vite, il fallait que je rende sa marchandise à la brute, sinon quelque chose de terrible allait se passer...

Je revenais près de la brute malfaisante et humblement, je lui rendais la cagette. Il souriait méchamment, ses yeux étaient vides, il ne me regardait pas mais contemplait les pulls. Il en a sorti un de la cagette, et, se retournant vers moi, m'a sèchement interrogée : "Quelqu'un d'autre que toi a touché ce pull. Dis-moi qui c'est - de toute façon, je saurai qui c'est..."

C'était si effrayant que les gens se sont rassemblés autour de  l'homme et moi, pressentant qu'il allait se passer quelque chose.  J'aurais dû me sentir protégée, mais je savais qu'il n'en était rien. On pouvait bien être des dizaines face à l'homme aux tricots : c'était lui qui avait le pouvoir.

Je devais parler, mais ma bouche était si sèche que... je me suis réveillée.

Le rêve était encore tout autour de moi, mais je pouvais mettre des mots dessus. Parce que je venais de rencontrer ma mort...

Ma mort est un homme aux tricots.

Cela pourrait-il m'étonner ???

 

 

Si vous écoutez bien...

... Quadn on écoute les scientifiques, eh bien, les certitudes s'écaillent. Par exemple, niveau sexualité. Parce que finalement, nous sommes tous des descendants, quelque surprenant que cela puisse paraître, d'"Homo"...

La vraie vie des vrais gens

 

Il faut prendre la voiture pour aller chercher le pain, dans nos campagnes. Ca peut paraîre anecdotique, mais c'est  dire l'importance des boulangeries, comme lieux sociaux : magré  cette contrainte,  et la redoutable concurrence des supermarchés, elles tiennent bon... Et si, désormais, l'ouverture des agences postales est totalement aléatoire, il nous reste cependant nos boulangeries... et nos couples de boulangers...

 

Mais ces derniers subissent également le changement délétère de notre civilisation. Cela devient presque un jeu (un peu méchant...), pour Clopin et moi, d'aller à la "p-tite boulange", la minuscule boulangerie la plus proche de chez nous. Les propriétaires ont changé, et c'est désormais un jeune couple, n'excédant pas 25 ans chaque, qui tient la boutique.

Eh bien, signe des temps ? Ni lui ni elle ne savent compter. Ca peut paraître étonnant, car enfin,  dans le commerce, ce n'est guère habituel,  mais c'est ainsi. Cela en devient même digne d'intérêt : ce matin, par exemple.

Il fallait additionner 3 euros quarante et un euro quarante-cinq.

De quoi s'embrouiller, pas vrai ? Alors, recours à la calculette, et voici notre boulangère qui tape laborieusement l'addition, pour annoncer enfin, après une dernière vérification, que je lui dois quatre euros quatre-vingt cinq centimes...

Mais, et c'est là que je suis cruelle, je lui ai tendu un billet de dix. Il lui a donc fallu avoir recours de nouveau à la calculette, pour déterminer que 10 euros moins quatre euros quatre-vingt cinq centimes, ben cela faisait cinq euros quinze centimes de monnaie à me rendre...

Et dire qu'elle ne fait que cela, toute la journée, que de vendre du pain et des "gateaus" (comme elle l'écrit sur son tableau...).

C'est sans doute un peu méchant de relever ces ignorances, qui font de ce brave couple, qui travaille dur, des sortes de victimes. N'empêche qu'on se prend à rêver de ce qu'a bien pu être leur scolarité, à ces deux-là... Enfin, je dis "rêver" :  "cauchemarder" serait sans doute plus exact...

 

 

 

×